L’ancien coach du Real Madrid, Zinédine Zidane, a accordé une longue interview à l’Equipe. Extraits choisis.
Son transfert au Real en 2001 : "Je venais d’avoir 29 ans. J’avais de la bouteille. Mais je savais qu’il me manquait ça, le Real Madrid. Quelque part, il me fallait ce départ pour rebooster ma carrière. J’étais à la Juve depuis cinq ans, j’avais tout gagné à part la Ligue des champions. On l’a perdue deux fois. J’avais besoin de cette relance, de ce nouveau challenge."
Un rêve accompli : "C’était dans ma tête et ça s’est renforcé petit à petit. Quand vous avez fait la Juve, tout gagné avec l’équipe de France, à 28-29 ans, il faut repartir sur un autre plan. Le Real était le mien. Et je savais que c’était dans la tête de Florentino Pérez. Et quand il a quelque chose dans la tête, tout va très vite aussi avec lui."
Le numéro 5 : "Cinq ans à la Juve, cinq ans au Real… Si un jour, quelqu’un se penche sur la place du chiffre 5 dans ma vie, qu’il creuse, il y a des choses incroyables. J’ai été par exemple impliqué dans cinq victoires en Ligue des champions avec le Real Madrid : une comme joueur, une comme assistant de Carlo Ancelotti et trois comme entraîneur principal. Même dans ma vie de famille, il revient. Quand je vais dans un hôtel, que je suis au 5e étage, je gagne le match. À 99 % ! Il y a des trucs particuliers. À Madrid, Florentino Pérez me dit, quand je signe : “Moi, dans mon équipe, les numéros vont de 1 à 11. Il n’y a pas de 35 ou de 40 sur les maillots !” Et il prolonge : “Le seul qui est libre est le 5.” Je lui réponds : “Sans problème, je prends de suite.” Ce 5 m’a donné beaucoup."
Son but en fail face à Leverkusen : "Le plus beau, je ne sais pas. Peut-être. Sûrement. Mais l’un des plus importants, oui. J’en avais besoin pour gagner ma première Ligue des champions. J’avais aussi besoin d’être décisif avec Madrid dans une grande finale. Ce geste n’arrive qu’une fois dans une vie. J’ai essayé de le refaire, notamment pour des publicités. Ils auraient aimé. Mais ce n’est jamais bien retombé. Je ne l’ai jamais réussi comme ça."
Ses victoires en LDC comme joueur et comme coach : "C’est différent. Mais tout est magnifique. Entraîneur, on est responsable. De 25 joueurs, mais pas que. D’un club aussi, d’un nom comme le Real Madrid, d’une institution. C’est une charge énorme qu’on ne porte pas de la même façon comme joueur. Quand on la gagne, en plus trois fois d’affilée, c’est un sentiment formidable et profond du devoir accompli autour de toi et pour tout un club. Gagner la Champions, ce n’est jamais de la chance. C’est du boulot. Surtout trois fois consécutivement. J’ai bossé comme un malade. On a beaucoup travaillé. Mes joueurs croyaient en moi ; je croyais en eux. On a monté ça. C’est énormément de travail avec mon staff."
A-t-il été surpris de gagner si vite la LDC comme entraîneur : "Non. Parce que, quand je fais quelque chose, c’est pour gagner. Je suis un gagneur, sans prétention. Je vis pour gagner. Sinon, je ne fais pas. On ne gagne pas toujours, mais je fais tout pour. Quand je gagne, ça ne m’étonne pas car j’ai tout donné. J’ai bossé. Et quand tu bosses, tu es en droit d’être récompensé. Quand tu as tout donné, que tu as tout fait, la victoire est aussi belle aux tirs au but, comme contre l’Atlético pour cette première finale, que le 3-1 contre la Juventus Turin en 2017 ou le 4-1 face à Liverpool en 2018. La récompense vient du travail. Et cela veut donc dire que tu les mérites. La victoire contre la Juve, notre deuxième mi-temps, était aussi exceptionnelle. Face à Liverpool, on sort d’un Championnat compliqué mais c’est l’apothéose contre eux. Ce succès prouvait toutes les ressources d’une équipe, d’un club, d’un groupe qui a toujours refusé de ne rien lâcher."
Que lui reste-t-il à accomplir ? "Continuer à entraîner. J’ai encore envie. Et après, pourquoi pas être dans un projet dans lequel je suis moi-même le dirigeant."
Et sélectionneur, avant ? "J’en ai envie, bien sûr. Je le serai, je l’espère, un jour. Quand ? Ça ne dépend pas de moi. Mais j’ai envie de boucler la boucle avec l’équipe de France. J’ai connu cette équipe de France en tant que joueur. Et c’est la plus belle des choses qui me soient arrivées ! Mais vraiment ! C’est le summum. Et donc, comme j’ai vécu ça et qu’aujourd’hui je suis entraîneur, l’équipe de France est bien ancrée dans ma tête."
Entraîner le PSG : "Il ne faut jamais dire jamais. Surtout lorsque vous êtes entraîneur aujourd’hui. Mais la question est sans objet. Ce n’est absolument pas d’actualité. Quand j’étais joueur, j’avais le choix, presque tous les clubs. Entraîneur, il n’y a pas cinquante clubs où je peux aller. Il y a deux ou trois possibilités. C’est la réalité actuelle. Coach, on a beaucoup moins le choix que joueur. Si je repars dans un club, c’est pour gagner. Je le dis en toute modestie. C’est pour cela que je ne peux pas aller n’importe où. Pour d’autres raisons, aussi, je ne pourrais peut-être pas aller partout."
Son coup de boule sur Marco Materazzi : "Ce jour-là, ma maman est très fatiguée. J’ai plusieurs fois ma sœur au téléphone dans la journée. Je sais que ma maman n’est pas bien mais ce n’est pas très grave non plus. Ça m’interpelle néanmoins. Je reste quand même concentré. Mais ce sont des choses qui se bousculent. La pression, ceci, cela. Lui (Materazzi), il ne me parle pas de ma mère. Il a souvent dit qu’il n’avait pas insulté ma mère. C’est vrai. Mais il a insulté ma sœur, qui était auprès de ma maman à ce moment-là. Sur un terrain, il y a déjà eu des insultes. Tout le monde se parle, parfois mal, mais tu ne fais rien. Là, ce jour-là, il s’est passé ce qu’il s’est passé. Il a déclenché quelque chose en parlant de ma sœur Lila. L’espace d’une seconde, et c’est parti… Mais après, il faut accepter. Je ne suis pas fier mais ça fait partie de mon parcours. À ce moment-là, j’étais plus fragile. C’est parfois dans ces moments que tu peux faire quelque chose qui n’est pas bien…"
Coacher des stars comme Cristiano et Benzema : "Ça aide d’avoir vécu leur truc. Mais surtout, il ne faut pas vouloir être plus qu’eux. C’est toi l’entraîneur, pas de problème. C’est toi qui dictes la route mais, par contre, il ne faut pas que tu les emmerdes. Ce sont eux qui font la différence sur le terrain. Et là-dessus, je n’ai pas d’ego. J’ai vécu ces situations avec beaucoup d’entraîneurs ou des joueurs qui voulaient être plus que les autres. À un moment donné, ça ne marche pas."
Sa relation avec Benzema : "Il y a de l’affection. Karim est comme le petit frère que je n’ai pas eu. Je suis le dernier de la famille. Notre relation est allée crescendo. On a appris à se connaître quand il est arrivé à Madrid, que j’étais conseiller du président puis second de Carlo. Là, on se voit un peu moins. On s’envoie des messages. Mais il sait où je suis. Je sais où il est."
Le Ballon d’Or pour Benzema : "Ce n’est pas seulement moi qui dis qu’il faut le lui donner, c’est la terre entière ! C’est plus que le mériter."
Son doublé Ligue des champions-Liga en 2017 : "C’est fort parce que c’est plus dur. C’est fantastique de gagner la Ligue des champions. Mais la chose la plus difficile et la plus belle après une saison entière, c’est de remporter la Liga. Quand tu fais 38 journées et que tu es champion, c’est fabuleux. La Ligue des champions est prestigieuse, beaucoup préfèrent la gagner mais la difficulté de la Liga la rend encore plus magnifique. Elle récompense le quotidien, la préparation de chaque match, de chaque entraînement. La Ligue des champions, ce sont 13 matchs avec l’intensité qui va crescendo. Les joueurs sont là et encore plus dans les grands rendez-vous à élimination directe. Mais la Liga, il faut être en permanence dedans. Alors, les deux, le doublé comme en 2017, c’est énorme."
Son équipe type des joueurs qu’il a entraîné au Real : "Je ne peux pas faire de cas particulier. Moi, de toute façon, je prenais plus de plaisir, vraiment, dans l’entraînement. Le match, ce n’était pas vraiment du plaisir parce qu’il y avait la sentence. C’est bizarre à dire. On est plus dans l’action, il y a de la pression, on est sur les joueurs. J’ai toujours pris de la hauteur mais le match avant, pendant, c’est quand même chaud. À l’entraînement, c’était juste exceptionnel avec ces joueurs. Le plaisir était vraiment là. Je me régalais à voir les petits jeux, Modric, Benzema, Kroos, à une touche. La saison 2016-2017, à l’entraînement, j’avais mal à la tête pour faire l’équipe ! Les 22-23 joueurs qui s’entraînaient, ils pouvaient tous jouer. On savait qu’il y en avait 7-8-9, mais pour les deux derniers, c’était très difficile. Je me disais : “T’as vu, lui, la semaine qu’il a faite.” Les choix étaient chauds. C’est la difficulté de l’entraîneur : faire des choix. Mais c’est le métier."