Quatorze couronnes européennes, solide leader de la Liga, le Real Madrid poursuit, année après année, son insatiable quête de trophées. Ce n’est pas Jude Bellingham, élément indispensable du 11 d’Ancelotti, qui dira le contraire. Dès l’entame de la saison, celui-ci affirmait : “Ce qui m’a le plus impressionné quand j’ai signé mon contrat, c’est quand je suis allé dans la salle avec les 14 Coupes d’Europe. Ça m'a donné envie d’en soulever une.”
Après 122 années d’existence, le Real apparaît inlassablement comme l’épouvantail des compétitions domestiques et européennes. « ADN de vainqueur » proclament les uns, « arbitrage maison » s’exclament les autres, ce club fascine et interroge quiconque croise son chemin. Joueurs, entraîneurs et supporters confondus. Depuis sa création, le Real est parvenu à construire une institution indépassable et admirablement agencée, alors que nombre d’autres clubs s’enfoncent dans des crises aussi bien sportives que financières ou politiques.
Nés pour briller
C’est au début du XXème siècle, en 1902 précisément, qu’est fondé le Real Madrid Club de Fútbol. A peine 50 ans plus tard, les merengue établissent un règne sans partage sous la présidence de Santiago Bernabéu. Le club de la capitale remporte la Coupe des clubs champions européens, ancêtre de la Ligue des champions actuelle, cinq fois d’affilée, de 1956 à 1961. S’installant au sommet du football espagnol et européen, le Real marque de son empreinte un XXème siècle dont il sera élu meilleur club par la FIFA. Des Galactiques des années 2000 aux cracks contemporains tels que Vinicius, Jude Bellingham ou encore Rodrygo Goes en passant par le triplé sous Zidane (2016-2018), le ballon rond compte de nombreuses légendes issues du club madrilène. Organisation minutieusement structurée pour briller, le Real Madrid est aujourd’hui un mythe, un club dont la capacité à s’établir sur le devant de la scène laisse béant. Pourtant, rien n’est dû au hasard.
Dans l’ombre, un pilotage millimétré
Dans un business aux contours toujours davantage complexes à dessiner, le Real Madrid demeure l’archétype du succès sportif et commercial. Ce dernier a ciblé l’importance de développer des stratégies lui permettant de diversifier ses sources de revenus et de conserver une position dominante au sein de l’industrie footballistique.
Une étude, parue en 2022 et menée par cinq auteurs dont Merve Altun Ekinci, se fonde sur des enquêtes qualitatives et quantitatives menées au sein de l’institution, en lien avec des dirigeants du club dans les années 2010. Elle souligne les techniques de management adaptées aux dynamiques économiques actuelles, qui permettent aujourd’hui de créer de la valeur.
Cette réussite se fonde sur une dialectique fondamentale entre les « produits » et les « clients ». La première catégorie comporte sept sections, en lien avec chacune des trois composantes des « clients ». Les produits concernent les valeurs partagées par le club, ses succès, le recrutement de joueurs stars, le merchandising, les installations, les autres activités commerciales et la plateforme éducative. Chacun d’entre eux tisse d’étroites relations avec les différents groupes de supporters, les sponsors et les réseaux sociaux.
Pour correctement interpréter ces stratégies, il convient de se référer aux discours des élites managériales du club. Les valeurs partagées par Los Blancos à travers le monde constituent une histoire, un leadership, une légende unique et universelle. Ces valeurs fondent l’héritage du succès et l’identité Madridista, diffusée dès le plus jeune âge à tous les supporters à l’échelle mondiale. Les récits autour des épopées européennes, notamment La Decima (10ème Ligue des champions) permettent de conserver la loyauté et l’attachement des supporters. Le recrutement de grands joueurs, héritage de Santiago Bernabéu, permet d’offrir au club une dimension transcontinentale, dépassant largement les frontières de la capitale espagnole. L’organisation de visites du nouveau stade, de matchs amicaux et de tournées de pré saison au sein de nouveaux marchés porteurs (Asie, Arabie saoudite) permet d’innover et d’exporter une marque que les autres clubs ne peuvent dupliquer, rendant l’expérience madrilène unique en son genre. De surcroît, en 2006, avec l’aide de l’Université européenne de Madrid, le club a mis en place le premier établissement d’enseignement supérieur en relation avec l’institution. Depuis, les formations de niveau master ainsi que le nombre d’étudiants ont considérablement augmenté (selon un rapport annuel, 11.500pour l’année 2018-2019).
Ces différentes sources de valeur sont indissociables de la vision et de la promotion qu’en font les supporters, les sponsors, et les réseaux sociaux. Le club fait en sorte que l’institution signifie quelque chose pour celui qui la promeut. En cela, il tend à créer une seule et même communauté, profondément marquée par l’identité merengue. En 2018 est notamment lancée une visite virtuelle inédite. L’idée ? Offrir aux supporters une expérience culturelle et historique du stade Santiago Bernabéu.
L’institution s’associe aussi à des sponsors qui ont la capacité d’honorer les valeurs du club et de soutenir la marque. Le partenariat avec le site « Bwin », ravivant le souvenir des premières capes de Cristiano Ronaldo au Real Madrid, n’a pu durer sur le long terme, notamment car le logo du club ne pouvait être utilisé pour promouvoir le poker. L’institution choisit minutieusement ses partenaires afin de protéger son image à l’international. Enfin, les réseaux sociaux permettent d’établir un lien constant avec les supporters, dans différentes langues aux quatre coins du globe. En atteignant les 153 millions de followers sur Instagram, 50 millions sur X et 121 millions sur Facebook, le club se transforme en une véritable expérience du quotidien qui touche chacun des Madridistas à travers le monde.
En définitive, le Real Madrid se différencie en construisant méticuleusement son image et en exportant sa marque. S’appuyant sur un management millimétré, une communication de tous les instants et le partage de valeurs communes, il entretient la légende et le rêve chez chacun, d’un club de football pourtant rigoureusement géré, où chaque détail compte.