Le magazine VESTIAIRES a donné dans son dernier numéro la parole à David Bettoni, l'adjoint de Zinédine Zidane sur le banc de l'équipe réserve du Real. Ancien joueur professionnel puis formateur à l'AS Cannes, il raconte de l'intérieur la préparation tactique d'un des matchs clés de la saison dernière, alors que Zizou et ses joueurs, lanternes rouges avec seulement 3 points en 6 matches, se déplaçaient chez le leader lors de la 7ème journée...
Par David Bettoni, entraîneur adjoint de Zinédine Zidane (Equipe réserve du Real Madrid).
"Revenons d'abord sur le contexte de cette affiche relativement délicate pour nous. Car après les 6 premières journées, nous ne comptions qu'une seule victoire et déjà 5 défaites ! L'équipe occupait la dernière place du classement avec 13 points de retard sur le leader, chez qui nous nous déplacions ce dimanche 5 octobre ! Une situation d'autant plus problématique que l'objectif fixé en début de saison était de remonter en deuxième division. Et quand l'entraîneur s'appelle Zidane, tout prend rapidement des proportions importantes... L'effectif, jeune et encore en apprentissage, venait qui plus est de vivre une relégation.
Bref, nos joueurs étaient dans le doute. L'idée directrice du coach, après avoir établi un diagnostic vidéo du contenu des premiers matchs, était de les rassurer tactiquement. Lors de ces 6 journées écoulées, pas de problème notoire en phase offensive : nous jouions plutôt bien au ballon, en proposant des choses intéressantes. C'est défensivement, en revanche, que nous étions en difficulté, surtout à l'extérieur."
Attendre davantage l'adversaire avec des lignes rapprochées et des attaquants excentrés plus souvent intégrés à un milieu à 5
"Notre plan de jeu initial consistait à l'époque à aller chercher l'adversaire avec un bloc haut organisé en 4-3-3. Or, ce championnat est composé de beaucoup de formations athlétiques, à l'aise dans le duel et sur les deuxièmes ballons, qui savent se montrer efficaces pour déséquilibrer l'adversaire notamment par du jeu long. Des phases de jeu où notre formation, composée de joueurs très techniques mais peu athlétiques, ne se montre pas performante. Nous avons donc commencé par prendre la décision, en début de semaine, de revenir à un bloc médian, en le reculant de 10-12 mètres. L'idée était d'attendre davantage l'adversaire avec des lignes rapprochées et des attaquants excentrés plus souvent intégrés à un milieu à 5. Nous voulions ainsi laisser moins d'espace dans le dos de la défense, et redonner par la même occasion un peu de solidité et de confiance au collectif. Ce dispositif devait contraindre l'adversaire à relancer plus souvent au sol. A partir de là, nous avions fixé des consignes précises pour le pressing. Notre attaquant axial devait, par son positionnement, bloquer la passe du défenseur central à l'intérieur du jeu et orienter la transmission vers le latéral. Dès que ce dernier recevait le ballon, on déclenchait ce fameux pressing avec cadrage du porteur par l'excentré offensif."
Un adversaire dont nous avions observé les lacunes techniques dans le jeu sous pression, d'où notre volonté de l'obliger à jouer court, au sol, avant d'aller le presser...
"Dans les faits, cette stratégie a été déterminante face à une équipe dont nous avions observé les lacunes techniques dans le jeu sous pression, et qui mettait du temps à se replacer à la perte. Même si on ne gagne en définitive que 1-0 grâce à un pénalty, je peux affirmer que dans le contenu, nous avons ce jour-là pris le dessus sur Barakaldo. Ils n'ont jamais réussi à nous déséquilibrer, et nous nous sommes créés pas moins de 7 occasions franches, surtout sur des récupérations provoquées par notre pressing. Offensivement, nos principes étaient restés les mêmes, avec la volonté de construire un maximum de derrière, en passes courtes. Dans les situations de récupération haute ou médiane, la consigne était de sortir de la zone dès la première passe, idéalement en profondeur. Les garçons ont été particulièrement efficaces et talentueux sur ces transitions défensives-offensives. Ce qui a d'ailleurs fini par énerver notre adversaire qui a terminé à 9... Alors certes, nous n'avons rien inventé tactiquement ! Mais en décidant de reculer ce bloc et en faisant identifier précisément aux joueurs leurs missions, nous avons trouvé la solution sur ce match. Ca s'est vraiment joué selon moi sur l'aspect tactique, sur ces 10 mètres. La tactique, bien plus que le système de jeu, est une affaire de distance liée à un état d'esprit !"
La tactique, bien plus que le système de jeu, est une affaire de distance liée à un état d'esprit !
"Après le coup de sifflet final, nous avons vécu un moment fort. Car nous nous sommes rendus compte que nous étions dans le vrai dans le travail effectué toute la semaine. Et ce ne fut pas un feu de paille. Car même si, au final, on rate de peu les barrages d'accession, nous avons après cette 7ème journée enchaîné sur une série de 19 matchs durant lesquels nous n'avons perdu qu'une seule fois, pour 7 nuls et 11 victoires. Je peux dire que le contenu de cette rencontre nous a ensuite servi toute la saison. Ce fut véritablement un match fondateur, référence, qui a ancré nos principes de jeu."
Outre cette modification de stratégie dans l'animation défensive, ce sont aussi les mots de Zizou qui ont impacté la performance du groupe. Les jeunes du Real sont encore en apprentissage, la transition entre le championnat U19 et cette 3ème division est particulière, ils ont parfois tendance à trop se reposer sur leurs qualités individuelles... Il fallait les piquer.
En complément de la préparation tactique durant la semaine, au travail individuel sur vidéo et par lignes, le coach leur a fait prendre conscience lors de la causerie qu'à ce niveau, chaque ballon et chaque attitude sont importants pour aller faire mal à l'adversaire ! Nous avions aussi des problèmes d'état d'esprit sur coups de pied arrêtés, avec 5 buts encaissés lors des 6 premiers matchs. Et plus que par le terrain, c'est par le discours qu'il a réussi à changer les choses. Il leur a dit aussi : "Moi, je n'étais pas bon de la tête, mais j'ai mis quelques buts importants de la tête dans ma carrière. Pourquoi ? Parce que même si je n'étais pas bon, si le défenseur me lâchait, j'étais déterminé à le devenir !". Quand on sait quels buts il a mis de la tête ! Ce n'est pas un entraîneur qui parle beaucoup de son passé, mais quand il le fait, l'impact est énorme.
Ce jour-là, dans l'état d'esprit, on a senti tout de suite dans le vestiaire, à l'échauffement, que les gars étaient prêts à répondre tous ensemble à la demande.
Article extrait de VESTIAIRES, premier magazine destiné aux entraîneurs et éducateurs de football, disponible sur abonnement sur www.vestiaires-magazine.com