L'homme qui a passé 14 années au Real Madrid et en est devenu le cinquième le plus capé (601 matchs) a accordé un entretien à AS. Il explique ce qu'est l'ADN du club.
Qu'a le Real que les autres n'ont pas ?
"D'abord, l'histoire. C'est quelque chose qui ne peut pas s'acheter. Le Real est le club le plus récompensé du monde et avec la meilleure attitude du monde. Le deuxième point, c'est un ADN. Le Real a cet ADN de vainqueur... Alors que d'autres clubs exposent beaucoup le beau jeu, la tactique... le Real Madrid, c'est la victoire. Et comment gagne-t-on à Madrid ? Bien, on ne le sait pas toujours, mais le club à cet ADN qui élève son exigence quotidienne et la grandeur de son blason. C'est quelque chose d'héréditaire, que les plus anciens enseignent aux enfants. On ne vit jamais d'un résultat ici. On joue contre qui on joue, peu importe qu'on ait parfois la sensation inévitable que l'adversaire est supérieur. Le Real sent toujours qu'il peut l'emporter et ça, c'est quelque chose que tu as ou que tu n'as pas."
C'est difficile de supporter la pression au Real ?
"J'ai eu d'excellents coéquipiers, des joueurs magnifiques... mais qui n'ont pas pu supporter cette pression. Le truc, c'est que le Real joue pour gagner, tu représentes cette mentalité. Tu entres sur le terrain en pensant que tu vas gagner. Le jour où j'ai débuté avec le club, les plus anciens m'ont dit : "Nous sommes le Real Madrid et ici, on ne perd pas, pas même en pré-saison". Ça c'est un ADN."
Comment ça se transmet aux jeunes du club ?
"On peut l'expliquer à certains qui comprennent et à d'autres, qui ne peuvent pas le comprendre. Regardez, Raúl par exemple, personne n'est allé lui expliquer ce que ça signifiait. Morientes, Guti... C'est pour ça que je vous dis que j'ai eu d'excellents coéquipiers, avec un énorme talent, qui n'ont pas réussi à supporter ce niveau d'exigence. À Madrid, le jour où tu perds est dur : le club tremble, l'opinion publique se retourne contre toi... J'ai passé 14 ans dans ce club et chaque année, je lisais qu'ils voulaient recruter un défenseur central. Et si on prenait deux buts, on parlait de suite de deux nouveaux centraux !
Comment on supporte ça ? En ayant de la personnalité et beaucoup de confiance en soi-même. Si tu n'as pas ça, c'est impossible dans ce club. Après, il y a le profil des entraîneurs. Regardez parmi ceux qui ont gagné la Ligue des Champions avec le Real Madrid, ce sont tous les mêmes : des hommes de club, calmes et qui ne cherchent pas la lumière. Miguel Muñoz, Heynckes, Zizou ou Ancelotti... Ils savent que le club est grand et qu'ils ne sont pas au-dessus des joueurs. Ils assument et acceptent le fait que les stars sont sur le terrain. À Madrid, tout est impressionnant quand tu gagnes mais quand tu perds, tout se met à trembler parce qu'il s'agit d'un club bâti pour gagner. Il y a eu de nombreux grands joueurs ici, mais personne n'a surpassé la grandeur du club."
Les supporters sont plus exigeants que le club lui-même ?
Les fans sont habitués à gagner parce qu'ils sont allés de nombreuses fois au Bernabeu et qu'ils ont vu le club remporter beaucoup de titres. Et c'est là que le niveau entre en ligne de compte. Si tu joues à un top niveau, le public va attendre de toi que tu sois constamment à ce top niveau mais inévitablement, avec les blessures et les années... Ton rendement se réduit avec l'âge sauf que le madridisme veut te voir à ton meilleur niveau. Ils t'ont vu à un top niveau et savent que tu peux jouer à ce niveau alors c'est ce qu'ils attendent de toi. À tous les matchs. Mais c'est impossible.
Ensuite arrive le moment où tu joues moins et où tu commences à faire plus de travail pour le groupe. Quel joueur du Real n'est pas passé par là ? On vieillit pendant que le club nous cherche un remplaçant. C'est la réalité de la vie. Je suis arrivé en 1989 parce que quelqu'un devait s'en aller. J'ai pris le numéro 5 qui appartenait à Camacho, un mythe du club. Puis je suis parti et Sergio Ramos l'a récupéré. Le club cherche sans cesse à se réinventer pour une seule chose : gagner, gagner, gagner. C'est ce qu'ils te mettent dans la tête."
Il y a quelque chose de non-négociable au Real ?
Le dévouement. Le Bernabeu se régale davantage d'une remontada que d'une victoire 5-0 parce qu'ils voient leur équipe se battre. Cela se produit parce qu'il y a une histoire dans ce club avec de nombreuses épopées inexplicables. Il y a des choses impossibles à comprendre. De nombreuses stars sont passées par ce club et elles ont toutes le même dénominateur : un dévouement à 100%. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit sur la mentalité du club. À Madrid on se dit : "Oui, on a bien joué, c'est très bien mais, est-ce qu'on a gagné ?". Si la réponse est non, alors les gens ne seront pas contents. Tous les clubs veulent gagner mais c'est différent ici."
Que représente le Real pour vous aujourd'hui ?
"Je sais ce que représente ce club, je le comprends. Il a été 14 ans de ma vie. Il m'a énormément donné et pas uniquement en tant que joueur de football. Je me sens très fier de mon passé. Tu vois Pirri, Santillana, Isidoro San José, Butragueño, Roberto Carlos, Casillas... Que c'est merveilleux. C'est une question de club, de générations. Personne ne m'enlèvera la fierté que je ressens à faire partie du Real Madrid."