Entre le Real Madrid et la presse, on se brouille, se boude un jour, puis on reprend contact le suivant. Décryptage de ce mode de fonctionnement où les alliances entre les acteurs sont légion.
"Le travail de la presse est essentiel pour véhiculer ce que représente le Real Madrid auprès de tant de millions de personnes, et cela suppose beaucoup de responsabilité pour tous". Ces mots sont signés Florentino Pérez, il y a quelques jours à peine. Ces paroles qui en appellent à la sagesse de tout professionnel du milieu sont vaines, et Florentino le sait très bien. L’appareil médiatique œuvre machinalement, hors du contrôle de ceux qui essaient pourtant d’avoir une emprise sur lui.
Chacun son équipe
Premier principe de journalisme sportif en Espagne : bannir l’impartialité. À ce propos, Jorge Valdano rappelle : "Il y a encore trente ans, les journalistes faisaient un effort terrible pour que personne ne sache de quelle équipe ils étaient supporters. Aujourd’hui c’est le contraire. Ils font un effort terrible pour que tout le monde sache bien de quelle équipe ils sont supporters". Il y a des médias pro-Real et d’autres pro-Barça, Séville ou Valence. Le quotidien As par exemple se concentre presque exclusivement sur le Real. Le quotidien s’intéresse à la moindre information en rapport avec la Casa Blanca. Tout y passe. Certains de ses journalistes affichent clairement leur amour pour le Real et leur mépris pour les équipes rivales.
Premier quotidien toutes catégories confondues, Marca se veut plus pluraliste, même s’il ne l’est pas vraiment. Depuis un changement de direction en 2011, le journal a voulu prendre du recul et laisser le soin à As de produire le sensationnalisme. En Catalogne, il y a Sport et Mundo Deportivo, qui ne se gênent pas de se moquer du Real allègrement, jouant parfaitement leur rôle de médias pro-Barça.
Tomás Roncero, le journaliste le plus fanatique du Real.
"Merci. Non, merci à vous !"
Second principe : les clubs ont autant besoin des médias que les médias ont besoin des clubs. Le Real cherche à soigner son image et surtout, réjouir ses supporters. Pour ce faire, il a recours à la presse, l’abreuvant de bonnes nouvelles et lui permettant de se joindre à bord durant les déplacements (ce n’est plus le cas depuis que Mourinho et Enrique ont banni les médias du voyage en avion, ce qui leur a valu sans surprise d’innombrables critiques de la part des journalistes). Le club transmet les rumeurs aux journaux : objectifs de transfert, prolongations, statistiques, etc. Ensuite, les journalistes font le tri, tentant de trouver l’équilibre entre l’info vendeuse et l’info crédible. Ces données offertes par le club aux médias se retrouvent le lendemain sous le nez des lecteurs.
Et de ce côté-là, c’est donnant-donnant. As est depuis trois ans privé d’infos par le Real, à la suite du clash avec Mourinho. Depuis, le journal s’est retourné contre le club. Il n’hésite pas à le desservir, publiant des articles à l’encontre de l'entité et de Pérez. Le président excédé, estime la chose suivante en parlant des rédacteurs de ce journal: "Dès qu’ils se lèvent le matin, tout ce qu’ils ont en tête c’est de nuire au Real Madrid". Tant que le club ne revient pas sur sa position, As continuera son folklore.
Parfois, comme cet été, le club cherche à défendre ses intérêts au travers de la presse. Le Real avait laissé filtrer que Ramos était un mercenaire, obnubilé par l’argent. Par ce biais, la pression s’est retrouvée sur les épaules d’un capitaine à l’image écornée, incité à revoir à la baisse ses envies millionnaires. Ramos n’a pas craqué et furieux, il n’a pas hésité à prétendre vouloir poser ses valises à Manchester. Et là, c’est le Real qui se retrouve à nouveau en mauvaise posture, obligé d’accepter les conditions de l’homme de la Décima. Et comment les médias ont-ils su que Ramos avait activé la piste des Red Devils ? Eh bien parce qu’il le leur a dit, tout simplement !
Bienveillance en échange de dires
Un joueur de football a intérêt à avoir une bonne image. Et pour cela, mieux vaut avoir la presse de son côté. Pour attirer ses faveurs, le deal est simple. Le joueur donne des infos à un journaliste, qui en échange de ce gagne-pain, protège le joueur dans ses papiers. Évidemment, les Espagnols ont plus de chances d’être blanchis que les autres.
Comment distinguer le vrai au milieu de tout ce bluff ?
Ou sinon, il y a l’amitié entre journalistes et membres de l’équipe. Ronaldo et Manolo Lama s’entendent bien et se saluent mutuellement. C’est sans surprises que CR7 est dépeint par le journaliste radio comme le meilleur des meilleurs. Dans le cas d’Iker Casillas, les journalistes l’ont vu grandir et le côtoient depuis plus de vingt ans ! Fernando Burgos a toujours défendu le gardien becs et ongles, ce qui lui a valu les reproches acerbes de Mourinho en personne. Toujours à la recherche de l’info exclusive, les periodistas dépendent de ces relations avec les joueurs. Pour un journaliste, dénicher l’info exclusive c’est ce qui peut lui arriver de plus beau ! La Cadena Cope s’est vantée pendant des jours d’avoir mis le doigt avant tout le monde sur la sanction de Cheryshev. Cette info a immédiatement fait le tour de tous les autres médias, en passant par les oreilles des dirigeants madrilènes eux-mêmes.
La taupe, cet animal ravageur
En revanche, devant les micros, les joueurs ne se livrent jamais. Après le match, ils s’accordent sur le discours à tenir dans la zone mixte. La langue de bois est de mise à la simple vue d’une caméra ou d’un enregistreur. Au menu, bouillie insipide de banalités. Tout ce qui transparaît se dit à voix basse, dans l’anonymat, puisque le journaliste ne divulgue jamais ses sources. Le plus célèbre combattant de ce trafic d’info est José Mourinho. Furibond par certaines fuites dans la presse, il s’était mis en quête de celui qu’il avait appelé "la taupe" et s’était promis de lui faire payer cher ses dérives. Pendant deux ans, il la traquera sans relâche, brisant un lien de confiance avec ses joueurs.
Pour montrer qu’il ne reculerait devant rien, il n’a pas sourcillé à l’heure de s’attaquer au reporter de Marca, Anton Meana. Il le convoque en compagnie de son staff dans une pièce adjacente à la salle de presse et s’emporte contre lui durant une demi-heure. Peu importe s’il s’attire les foudres de tous les confrères de la victime. Il est prêt à se mettre tout le monde à dos pour trouver le traître. La rupture avec les journalistes devient si prononcée, qu’il finit par fuir les confrontations avec eux dès qu’il le peut.
Fernando Burgos, le défenseur de Casillas.
Les joueurs, eux, se font plus discrets. Ils ne veulent pas être vus en compagnie d’un journaliste. Ils changent leur numéro de téléphone régulièrement mais ne cessent pas leurs transmissions. Plus le temps passe, plus les bombes minent le terrain de recherche de Mourinho. Chaque semaine des nouvelles de prises de becs avec l’entraîneur tombent. Les joueurs se défendent et larguent des cadeaux à la presse. L’image de Míster omnipotent que Mou veut se donner se fissure.
Dans le livre le Cas Mourinho (de Thibaud Leplat, Hugo Sport, 2013), le rédacteur en chef de Marca, Oscar Campillo raconte : "Tu veux savoir qui est la taupe au Real Madrid ? C’est Mourinho lui-même. C’est lui qui nous donne beaucoup d’informations sur les joueurs. Il se sert de Marca pour envoyer des messages à ses joueurs". Diego Torres Romano, journaliste réputé d’El País confirme cette thèse : "Chaque média espagnol a un interlocuteur proche de Mourinho. En réalité, tout ne sort pas, parce que la presse espagnole craint souvent de déplaire au Real Madrid. Le journalisme sportif est un journalisme de passion, pas de réflexion. Comme Mourinho n’arrive pas à contrôler 100% de la presse, il invente un complot sur la base des 5% qu’il n’arrive pas à contrôler. Tout le monde est une taupe, mais personne ne se risque à le reconnaître".
Quand la presse fait des siennes
Reste encore les œuvres de la presse quand personne ne les a commandées. Ainsi, beaucoup ont dénoncé une campagne de Marca pour évincer Manuel Pellegrini. Par une série de critiques incessantes envers le Chilien, le journal aurait contribué à fragiliser l’entraîneur et ce dès février. Pellegrini sera poussé vers la sortie sans ménagement.
Est-ce ce qui est en train de se passer avec Benítez ? Il a été très peu épargné par la presse alors qu’il n’est pas le seul coupable de la situation actuelle. La question mérite d’être abordée, sans pour autant crier instinctivement au complot. Les joueurs sont-ils en train de faire passer un message de leur côté, notamment quand la Cadena SER évoque « une situation insoutenable au sein du vestiaire » ou quand Marca avance que les joueurs n'en peuvent plus diriger par un "Monsieur-je-sais-tout" ? La presse profite-elle de la faiblesse de Benítez pour vendre ?
Jamais un entraîneur n'a été épargné par la presse madrilène.
Et puis il y a encore les émissions télé avides de polémiques, les analyses des dialogues des joueurs sur le terrain, les émissions radios souvent proches des acteurs, les médias internet, et puis ce site, tributaire des infos relayées, mais véritablement libre car hors de ce système d’alliances. L’interprétation des sources est un exercice périlleux mais c’est une vraie chance !