Aujourd'hui, a lieu le match le plus attendu du calendrier : le Clásico au Bernabéu. Qu'en était-il y a 50 ans ? Petite plongée dans le passé.
10 décembre 1967, veille de Clásico à Madrid. Les journaux sont remplis d'articles parlant de la rencontre à venir. Irrégulières, parfois un peu de travers, les petites lettres noires couvrent des pages et des pages de papier. Le ton est presque nostalgique. À Madrid, c'en est fini des éclats du trio magique. Kopa est parti il y a déjà sept ans. Di Stéfano vient de mettre un terme à sa carrière du côté de l'Espanyol, alors que Puskas a raccroché les crampons il y a quelques mois toute juste, avec une troisième Coupe d'Europe dans la poche.
Mainmise et crise
De cette clique qui jadis régnait sur l'Europe, ne restent que deux survivants : Gento et Muñoz, le capitaine, reconverti en entraîneur à succès. Et pourtant, le Real gagne toujours et encore. Sur les sept dernières éditions de la Liga, il en a remporté six, alors que la sixième Coupe d'Europe est tombée en 66. La Beatlemania s'est emparée du monde, et Madrid ne fait pas exception. Ce Real-là a un nom : c'est le fameux Real yéyé.
Si du côté de la capitale on baragouine au rythme d'une bande d'Anglais trémoussants, à Barcelone on est plutôt d'humeur maussade. Le Barça occupe les seconds rôles. Les Catalans courent après la Liga depuis sept ans, et ne peuvent se consoler que d'avoir gagné une Coupe du Roi en 62. Une crise a éclaté au Camp Nou quand Helenio Herrera est parti avec son catenaccio entraîner l'Inter en 61, emmenant avec lui Luis Suárez, un an plus tard. Kubala, star absolue en tant que joueur reprend le poste de míster. Raté, son passage déclenche une valse des entraîneurs au tempo plutôt digne du heavy metal - style tout juste inventé, merci Jimi Hendrix- que d'une composition de Chopin. À l'aube de cet énième Clásico, c'est Salvador Artigas, aviateur durant la guerre civile mais aussi joueur de football qui prend place sur le banc blaugrana. En coulisses, le président Llaudet joue avec les nerfs de tout le monde, répétant à maintes reprises qu'il va s'en aller, avant de faire marche arrière.
Les dés, cette formidable activité
En ce qui concerne l'avant-match, une question est sur toutes les lèvres : Julio César Benítez jouera-t-il ? Le défenseur uruguayen du Barça est mal en point. C'est d'habitude à lui que revient la lourde responsabilité de marquer Gento. Quand les deux se livrent leur traditionnel duel, l'ailier gauche du Real est en face du seul joueur capable de l'arrêter. Malin, Benítez ne le laisse pas déborder, réorientant sa conduite de balle vers l'intérieur du terrain. Résultat, Gento ne le passe presque jamais, et redonne le ballon dès qu'il le reçoit. Disons-le tout de suite, Benítez jouera ce match. Ce sera là son dernier Clásico, puisqu'il décédera des suites d'une intoxication de moules quelques mois plus tard.
Pendant que le doute reste entier sur le onze de départ, le Barça flâne à l'hôtel. Après la traditionnelle projection de film (ce jour-là une comédie américaine), les joueurs s'adonnent aux dés. On passe le temps comme on peut. Dans quel état se présente le Barça à ce match ? Aucune idée. Les journalistes madrilènes n'ont jamais vu l'équipe jouer de la saison. On suppose simplement que son côté gauche avec Rexach et Fusté est dangereux. Tout ce que l'on est en mesure de dire avec certitude, c'est qu'elle est à deux points du Real, et à trois du leader, l'Atlético.
Les onzes
Le jour du match venu, voici les onzes : Le Real avec Betancort ; Calpe, Zunzunegui, Sanchís ; Pirri, Zoco ; Serena, Amancio, Grosso, Velázquez et Gento. Le Barça avec Sadurni ; Torres, Eladio, Gallego, Benítez ; Zabalza, Rifé, Rexach, Gallego, Futsé ; Zaldúa et Mendonça.
Comment ce match ? Froid
Un froid glacial est de mise au moment d'attaquer la rencontre, ce qui explique le stade à moitié rempli. Une partie du public a préféré s'amasser devant la télévision, dans la chaleur des chaumières. S'ajoute à cette défection un terrain en déliquescence, mais qu'importe, le foot n'est pas encore devenu snob. On joue et on se plaindra ensuite du terrain à moitié gelé.
Durant la première mi-temps, le Real met la pression sur l'arrière-garde du Barça. La domination est pourtant stérile, ce qui donne lieu à des contre-attaques adverses. La plus grosse occasion est pour les visiteurs, qui attrapent la barre sur un tir de Zaldúa. Le Real réplique dès la reprise, avec une frappe de Pirri renvoyée elle aussi par les bois. Selon Mundo Deportivo, journal pro-Barça faut-il le rappeler, l'arbitre est très mauvais. Le journaliste présent au Bernabéu l'accuse de "favoritisme puéril pour l'équipe locale". Ce monsieur Lloris, dans toute sa supposée puérilité, accorde un pénalty au Real à la 65e. Comme Benítez ne peut quand même pas l'empêcher de tirer un pénalty, Gento le transforme, libéré qu'il est du joug de son plus fidèle suiveur.
Le Barça ne met que treize minutes à égaliser. Zaldúa reprend un ballon qui traînait par-là, puis l'envoie dans les filets d'un, pour le coup, vieux pointu. Complètement stoïques, les Madrilènes encaissent un but qualifié de "certainement bien stupide" par leur entraîneur. À part ces deux buts, bien peu de choses se passent. Un journaliste d'ABC s'inquiète pour les articulations des gardiens, réduits à observer leurs coéquipiers se neutraliser. Ce Clásico se solde sur le score de un partout. Le match se prolongera à l'heure des interviews, où bien entendu, personne n'est d'accord sur rien.
À l'heure des interviews
Artigas, entraîneur du Barça : "J'ai beaucoup aimé le Real. Ils ont lutté avec ardeur du début à la fin, à la recherche d'une victoire qu'il aurait peut-être décrochée si ce n'était pas le Barça en face. Individuellement, Amancio et Gento ont été les meilleurs pour moi". Son président, Llaudet, dit que ce Real, ce n'est plus le grand Real des dernières années. Il ajoute également qu'un pénalty a été oublié pour les siens. Mais dans l'ensemble, il est content. Zoldúa, lui, est plus osé : "Nous sommes contents du match nul, mais je ne pense pas qu'une petite victoire aurait été injuste. J'estime qu'à l'exception de quelques moments, nous avons dominé notre adversaire. Mais le football est comme ça". Juste, le résultat pour l'entraîneur adverse, Muñoz ? "Eh bien, franchement, non. Je crois qu'un 1-0 aurait été plus en accord avec le déroulement de la partie".
C'était il y a 5o ans. Le football a tellement changé depuis. Pourtant, la mauvaise foi, la discorde, étaient présentes dans tous les dires. Aujourd'hui, on sourit de la vanité de ces choses datant du siècle passé. Espérons que dans 50 ans nous sourirons de nous-mêmes, quand dans quelques heures éclatera une polémique dont nous nous emparerons à bras le corps.