En Espagne, le football est plus roi que le Roi lui-même. Le souverain du football hispanique est en réalité plus un tyran qu’un roi Arthur. Immersion au sein du royaume du football espagnol, qui n’a de royaume que le nom. Au menu, corruption, le mondial au Qatar, la Sélection espagnole, le Real, le Barça, des grèves, mais surtout un homme : Angel María Villar.
La Fédération Royale du football espagnol (RFEF) est dans une période difficile. Pas empêtrée dans une crise comme tout le pays non, loin de là. Elle est en guerre contre le gouvernement, plus précisément le Conseil Supérieur des Sports (CSD). Au mois de février, elle a même écrit à la FIFA une lettre où elle demandait la destitution de son président, Miguel Cardenal. La FIFA ne peut de toute manière rien faire puisqu’elle n’a aucune autorité face à un Etat Souverain. Mais pourquoi demander la destitution d'un ministre? Commençons par le commencement.
Depuis que Miguel Cardenal est arrivé à la tête de ce Conseil en janvier 2012, il a imposé à toutes les fédérations sportives du pays de se soumettre à une audience annuelle pour discuter de leurs factures et de leurs coûts. Dans un premier temps, un organe se charge d’analyser leurs comptes, dépenses et investissements puis dans un deuxième, une audience est convoquée pour discuter de ceux-ci. Dans l’analyse des comptes de la RFEF, des irrégularités ont été décelées. De ce fait, une audience était primordiale pour inviter ses dirigeants à s’expliquer. Problème, la RFEF refuse d’auditionner. En refusant, elle enfreint tout simplement la loi. Une loi dont elle n’a pas la moindre peur semble-t-il. Depuis des années, elle la contourne, l’ignore ou alors la snobe impunément. Certaines autorités sont même de son côté.
Comment une Fédération peut-elle agir de la sorte et se croire plus forte que le ministère des sports espagnol ? La réponse pourrait être assez simple : celui qui gouverne la RFEF fait ce qu’il veut. Et celui qui la gouverne s’appelle Angel María Villar.
Qui est cet homme ?
Angel María Villar naît en 1950 à Bilbao. Il est formé dans les équipes de jeunes du club basque et jouera pour les Lions pendant 10 saisons. Le milieu centre vêtira le maillot de la Roja à 22 reprises. Pas vraiment un joueur légendaire, il restera cependant dans les annales pour une agression tristement célèbre sur Johan Cruyff en 1974. Au marquage du triple Ballon d’Or qui jouait alors pour le Barça, il lui asséna un violent coup de poing qui fit tomber le Hollandais à terre. Peut-être déjà une manière de montrer que de l’ordre hiérarchique, il ne s’en souciait guère.
Une fois sa retraite sportive prise, commence sa quête du pouvoir. Il faut savoir que Villar est un monstre de travail et un leader né. En plus d’être joueur professionnel à Bilbao, il étudiait le droit pendant son temps libre. Après huit ans, il termine ses études et devient avocat en 1979. Aujourd’hui, certains joueurs passent la majorité de leur temps devant la Playstation quand ils ne s’entraînent pas. Villar lui, étudiait. En 1981, il raccroche les crampons et devient président du football basque. Un collaborateur qui travailla avec lui durant les six années où il occupa ce poste le décrit comme un homme absolument infatigable, travaillant matin, midi et soir à la fédération. Les réunions mensuelles n’ont jamais été aussi longues que sous sa houlette.
Prochain objectif pour Villar, la présidence de la RFEF. Il atteint son but en 1988, âgé alors de seulement 38 ans. Ce qui peut s’apparenter à une sorte de dictature débute alors. Cela fait 26 ans qu’il régit le football en Espagne. Il a été réélu à six reprises et aspire à rester en place jusqu’à 2020. Tous les scandales ne l’ont pour l’instant pas éjecté et il a été quatre fois l’unique candidat à se présenter aux élections.
Depuis qu’AMV est président de la RFEF, cet organe du sport est devenu quasiment intouchable et surfe au-dessus des lois. L’article 4 du règlement des statuts de la Fédération stipule que celle-ci est chargée de « gouverner, administrer, gérer, organiser et réglementer le football dans toutes ses spécialités ». En bref, elle a les pleins pouvoirs. Le chapitre 4 de la section 1 indique lui, que les arbitres sont « subordonnés au président ». Quel est son rôle auprès des arbitres d’ailleurs ?
Le choix des arbitres qui sont promus ou dégradés lui appartient. Villar menace de paralyser la Liga s’il perd le contrôle sur eux. José Manuel Arcas, homme de terrain, critique la gestion de Villar : « Son pouvoir dans le thème arbitral est absolu. Villar décide tout. Les promotions, les dégradations, il manie tout l’arbitrage. Tu montes car tu es ami de Villar. Tout le monde le sait. Personne ne l’avoue mais tout le monde le sait. Celui qui le nie ment ». Le président du Comité Technique des arbitres, Victoriano Sanchez Arminio est très ami avec Villar. Le système de désignation des arbitres n’est en rien aléatoire puisque c’est Sanchez Arminio qui décide quel arbitre dirigera quel match chaque week-end. Le Real Madrid s’était opposé cet été à ce mode de désignation et avait proposé une toute autre alternative. Le club de la capitale avait pu compter sur le soutien du président de la LFP, grand ennemi de Villar. Mais comme le tout-puissant président de la RFEF est farouchement opposé à perdre le contrôle sur les hommes en jaune fluo, rien n’a changé.
Villar tient beaucoup d’arbitres en laisse. Comme précédemment dit, il a été six fois réelu comme président. Parmi les électeurs, des présidents de club, des joueurs, des présidents de fédérations territoriales, des entraîneurs et…des arbitres. Il se dit sans trop de peine que certains ont reçu des billets pour voter le président. Voter Villar, c’est s’attirer ses faveurs. S’attirer ses faveurs, c’est pouvoir arbitrer les matchs de première division et être reconnu. Aussi simple que ça. Et il faut dire qu'avoir les arbitres dans sa poche, c'est très pratique pour faire pression sur la Liga et le Gouvernement. "Vous vous opposez à nous ? D'accord, on décrète une grève générale et même si vous décidez de jouer, vous ne le pourrez pas car aucun arbitre sera disponible". Exactement ce qui est en train de se passer ces jours.
Las Rozas
Un autre domaine du football espagnol que Villar dirige, c’est la Sélection. Une Sélection qui, sous son règne, a atteint les moments les plus glorieux de son histoire. Y-est-il pour quelque chose ? Difficile à dire. Là où il y est pour quelque chose, c’est pour le centre d’entraînement de la Roja. En 2003, s’ouvrit le complexe de las Rozas. L’endroit devient le nouveau siège de la RFEF et le lieu de concentration des joueurs de la Sélection. Le jour de l’inauguration étaient présents les joueurs de la Sélection, les plus grandes gloires du football espagnol, le président du gouvernement, Di Stéfano et bien d’autres.
Construite dans la très chic municipalité de las Rozas, à Madrid, la dénommée ville du football de las Rozas est un reflet des volontés et des manières de son président. Le terrain de 120'000 mètres carrés abrite quatre terrains de football, une salle polysportive et son gymnase, un édifice de médecine sportive, un hôtel de luxe, et le bâtiment principal, siège de la RFEF. Au total, 168 travailleurs oeuvrent là-bas et ceux-ci coûtent 11 millions en salaires. Villar lui, dit qu’il touche 147'000 euros par année, soit deux fois le montant que perçoit le chef du gouvernement espagnol.
Combien un tel terrain coûte-t-il ? 120'000 m2 à bâtir dans une commune réputée pour la richesse de ses habitants doit valoir une fortune. En effet, la zone est estimée à 47 millions d’euros. Pour acquérir cette parcelle, la RFEF n’a strictement rien eu à payer. La mairie a cédé les terrains gratuitement, aussi incongru que cela puisse paraître. Toujours est-il que les travaux commencèrent en en 2000 et le site fut finalisé en 2004.
« Certaines personnes pensaient que l’inauguration n’allait pas se réaliser. C’est leur problème, pas le nôtre » Villar, inauguration de las Rozas, mai 2004
Financé avec de l’argent public donné par les subventions du CSD, le site va être soumis à une enquête de l’Etat. Le complexe est jugé illégal par le Tribunal Supérieur de Justice étant donné que la mairie les a offerts à la Fédération, alors que pour adjuger un terrain, celui-ci doit être mis au concours afin de déterminer qui en sera le propriétaire. L’ancien maire de la ville est imputé pour avoir désobéi à la Justice. Son procès n’a toujours pas été ouvert alors qu’il a été imputé il y a 10 ans. La RFEF occupe donc l’endroit illégalement depuis une décennie et malgré toutes les sentences de tribunaux, aucun procès n’a encore eu lieu.
En octobre 2014, le président atteint son objectif, légaliser sa ville du football. La Justice oblige la mairie à mettre les terrains au concours pour que ceux-ci soient attribués légalement. La RFEF est étrangement la seule à se présenter et les terrains lui sont donc accordés. Mais cette fois, elle doit les payer le bail. Rappelons que leur valeur est quand même de 47 millions d’euros. La RFEF passe à la caisse et débourse la somme de…un euro, payé en métallique. Il n’y a rien à dire de plus, Villar s’en est encore une fois sorti aisément. De plus, le bail vaut pour 100 ans. Faites le calcul du loyer annuel ! Les citoyens de las Rozas sont furieux et ont dû se rendre à l’évidence ; leur commune ne les défend pas. Que faire face au totalitarisme ?
La suite tout prochainement !