La nouvelle recrue madrilène, Luka Jovic, a été interviewé par The Players Tribune. L'attaquant évoque à coeur ouvert son incroyable parcours et toutes les difficultés qu'il a dû traverser avant d'arriver au Real Madrid.
"Parfois, je me dis que je suis juste né avec... Tout le monde dans la vie a certains talents, et je pense que le mien est de marquer des buts. Je ne sais pas comment je me suis retrouvé attaquant, mais d'aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été obsédé par marquer des buts. Quand j'étais enfant, j'avais ces deux cassettes VHS de tous les buts de chaque Coupe du Monde. Je me souviens que j'étais fasciné par le Camerounais Roger Milla à la Coupe du Monde 90, et bien sûr par Ronaldo, le Brésilien. J'étais obsédé par la façon dont il a fait ce dribble pour se débarrasser du gardien de but. Je me souviens que c'était si rapide, comme un tour de magie, et que je m'entraînerais à le refaire chez moi. Ronaldo jouait au football avec une telle aisance, presque comme s'il n'était qu'à 30%, je trouvais ça incroyable. Son style et sa confiance m'ont marqué.
Je suppose que mes entraîneurs ont dû vite repérer cet instinct chez moi, car ils m'ont fait jouer attaquant dès mes débuts dans le football. Mon père m'avait inscrit dans cette équipe appelée FK Omladinac à Loznica, en Serbie, et je me souviens que tout était bleu. J'étais impressionné. Si vous retrouvez une photo de ça, vous rigoleriez, car c’était vraiment un tout petit terrain, mais c’était ma première fois sur un vrai terrain de football. Tous les footballeurs, ils le sentent en eux, même quand ils sont jeunes.
Je croyais alors que tous les terrains de foot du monde étaient bleus, quand j'étais jeune. Ce n’est que lorsque les recruteurs de l’Étoile Rouge de Belgrade m’ont remarqué et que j’ai réalisé qu’il y avait d’autres couleurs dans le monde du football. Je n'avais que huit ans, et aucune idée de tous les endroits où le football allait m'emmener...
J'ai grandi dans un endroit appelé Batar. Je ne m'attendais pas à ce que vous le sachiez, ne vous inquiétez pas. C'est un village vraiment petit, avec seulement 105 maisons. Mais pour moi, c'était spécial. Je me souviens que cet homme de Batar m'a dit un jour : "Mon village est plus joli que Paris". Et c’est vraiment comme ça que je le vois aussi. Presque toutes les personnes qui y travaillent sont dans le secteur agricole. Si vous leur demandez en quoi elles croient, elles vous diront toujours deux choses : travailler dur, et rêver grand. Tout le monde à Batar fait de son mieux pour économiser assez d’argent afin d'aider ses enfants à partir étudier ou à s’installer dans une plus grande ville.
Mes parents ont travaillé dur pour m'aider à trouver mon chemin dans la vie. Quand j'étais un peu plus grand, mon père possédait un supermarché. Mais s’il avait une mauvaise année, il devait faire un crédit à la banque pour que je puisse continuer à m’entraîner tous les jours. Mon oncle travaillait en Russie, et s'il apprenait que nous avions des problèmes financiers, il m'achetait des chaussures de foot et des baskets, et envoyait de l'argent à mon père. Les familles serbes sont spéciales pour ça, je pense. Nous sommes vraiment très proches. Nous devions l'être.
Je ne parle pas souvent de ça, mais quand j’ai eu neuf ou dix ans, ma sœur aînée est tombée très malade. Ce fut le moment qui a marqué nos vies. Les médecins ont découvert qu'elle était atteinte de leucémie. Elle faisait beaucoup d'aller-retours à l'hôpital pendant longtemps. Ma mère a dû arrêter de s'occuper le supermarché pour rester auprès d'elle. Pendant toute une année, notre famille a été séparée. Je vivais avec mon père et mon grand-père, allais et revenais à l'entraînement à Belgrade, pendant que ma mère restait avec ma sœur.
Ce fut une période très difficile. Ce dont je me souviens le plus, c’est le jour où je suis rentré après un match. Mon père s'est arrêté prendre mon oncle et mon cousin. Je ne savais pas ce qui se passait au début, mais j’ai vite réalisé que nous allions à une grande fête. Nous sommes arrivés à la maison, et je me souviens que ma sœur portait ce chapeau en papier, comme si c'était son anniversaire... Ils nous alors ont dit qu'elle était guérie ! C'était vraiment une sensation incroyable, on savait qu'elle allait enfin aller bien. Quand ma sœur a vaincu sa maladie, ça m'a donné le feu pour réussir. Je voulais être un gagnant comme elle.
Quand le Benfica a voulu me recruter en 2016, je me souviens avoir dit à ma mère que je ne voulais pas partir. Finalement, j'ai décidé de déménager au Benfica pour faire avancer ma carrière. Mais je pense que tout est arrivé trop vite. Ma famille représentait tout pour moi et je n’étais vraiment pas prêt à les quitter. Avoir 18 ans et partir à 3 000 kilomètres, dans un endroit où on ne parle pas ta langue, ce n’est plus seulement du football. Votre vie n'est pas simple. Quand je suis arrivé à Lisbonne, je pensais à ma maison et je commençais à pleurer sans raison. Ce fut une très mauvaise période de ma carrière car je me sentais vraiment seul. Heureusement, tout a changé lorsque j'ai pu déménager à l'Eintracht Frankfurt.
J'ai toujours aimé et apprécié l'Eintracht, car ce n’est pas un club qui parle d’argent ou de joueurs chers. Au lieu de cela, il s'agit d'alchimie et d'un incroyable sentiment de solidarité avec les supporters. J'ai vraiment recommencé à apprécier le football quand j'y suis arrivé. Lorsque nous avons remporté la Coupe d'Allemagne en 2018, l'atmosphère dans le stade et dans la ville était vraiment électrique. Cela ressemblait beaucoup à l'Etoile Rouge de Belgrade. Je me suis fait beaucoup d'amis à Francfort que je garderai pour toujours.
Mon seul regret, c'est la demi-finale de la Ligue Europa face à Chelsea. C’est probablement l’une des rares fois de ma carrière où j'ai pleuré de tristesse, et ce n’était même pas juste après la défaite aux tirs au but. C'était au moment où nous sortions du terrain et que j'ai vu les supporters de l'Eintracht, au premier rang, chanter notre hymne avec les larmes aux yeux, même si nous avions perdu. Ce fut une expérience différente pour moi de jouer pour des fans qui vous soutiennent même lorsque vous perdez. C'est rare dans le monde du football, et j'ai vraiment été triste de quitter Francfort, car ce club a changé ma vie. Les choses se sont passées très vite pour moi. Il y a quelques années, je rêvais surtout de jouer pour l'Etoile Rouge. Alors jouer une demi-finale de Ligue Europa, puis une Coupe du monde, et maintenant au Real Madrid, c'est incroyable...
Je pense que le plus important pour un attaquant reste la confiance. Je n’ai jamais douté de ma valeur. Je sens juste que j'ai une qualité avec laquelle je suis né, et je n'en douterai jamais. Pour moi, marquer des buts est un instinct. Je pense que c'est mon meilleur trait. Peu importe ce qui se passe, si vous me dites de mettre la balle dans les filets, alors je suis complètement concentré là dessus.
Je suis né dans un petit village en Serbie avec 105 maisons, un endroit dont vous n'avez probablement jamais entendu parler auparavant. Où cette histoire va-t-elle m'emmener ensuite? Que vais-je réaliser? Quelle sera la fin ? Je ne sais pas, mais je sais que j'ai de très grands rêves."