Esteban Granero (34 ans), a pris sa retraite par surprise après quinze ans comme footballeur professionnel afin d'avoir le temps d'être tout ce qu'il veut être : psychologue, écrivain, expert en intelligence artificielle appliquée au sport… L’Espagnol a accordé une longue interview à AS. Extraits.
Es-tu toujours un pirate ?
Au fond, je ne l'ai jamais été. J’ai plus le profil d’un enfant sage que d’un pirate. J'ai connu beaucoup de pirates, pour le meilleur et pour le pire, et j'ai toujours été plus conservateur. Mais les apparences sont les apparences et ça m'a suivi. Un commentateur de la télévision du Real Madrid m'a donné ce surnom parce que j'avais les cheveux longs et une barbe depuis que j'étais jeune.
Tu as eu une longue carrière de 15 ans dans le foot pro…
Je me sens absolument chanceux. Bien sûr, j'ai fait beaucoup de choses bien pour mériter ce que j'ai obtenu, mais il y a aussi d'autres personnes qui les ont faites, et mieux que moi, et qui n'ont pas réussi. Il y a eu une part de chance et de circonstances tout autour. Je ne sais pas exactement quel est le critère de réussite. Si c'est celui que je pensais pouvoir atteindre avant de le faire, il est certainement bien au-dessus de mes attentes. Cependant, il y a des centaines et des milliers de joueurs meilleurs que moi. Je n'aspirais pas non plus à être le meilleur du monde. Dans un environnement où c'est compliqué, où c'est dur et où je ne me sentais pas non plus dans ma zone de confort, j'ai eu une assez bonne carrière pour pouvoir regarder en arrière et me sentir réconforté et relativement fier.
Tu prends ta retraite à 34 ans… C'est ton corps qui le demande ou ta tête ?
Ma tête plus que mon corps. Il arrive un moment où il faut décider. Si tu ne meurs pas d'envie de le faire… Pas de jouer, parce que je meurs d'envie de jouer aujourd'hui aussi, mais pour tout ce qu'implique le fait d'être footballeur. Si tu ne meurs pas d'envie de le faire, il vaut mieux ne pas le faire. J’ai décidé de faire un pas de côté, de profiter du football d'un autre point de vue et de laisser les jeunes joueurs prendre les devants.
Et quand on voit Modric, qui à 36 ans n'est pas tout à fait jeune, ne regrette-t-on pas de partir si tôt ?
Si j'étais Modric, je jouerais jusqu'à 87 ans… Il est tellement bon. Je n'étais pas si bon et j'en étais loin. C'est un joueur qui maîtrise tout, de la technique à la tactique. Il est merveilleux. C'est un Ballon d'Or. Il joue à un niveau stratosphérique. Il avait l'habitude de jouer en tant que meneur de jeu, alors maintenant il peut jouer en tant que milieu de terrain central. Il ne pourra pas faire les choses qu'il faisait à 23 ans, mais il fait beaucoup d'autres choses qu'il ne faisait pas avant et c'est un luxe pour une équipe comme le Real Madrid.
Quelle est l'étape dont tu es le plus satisfait de toi-même ?
Je suis relativement fier de ma première année en Primera avec Getafe. J'avais 19 ans. Nous avons réalisé beaucoup de choses et j'ai bien joué. Nous avons atteint la finale de la Copa del Rey, en Europe nous avons fait des choses intéressantes. Je suis également fier de ma première année au Real Madrid. Ce sont des circonstances compliquées. Il y avait une énorme concurrence : Sneijder, Kaká, Van der Vaart, Guti, Lass, Xabi Alonso… et j'ai joué 35-40 matchs. Pellegrini a été juste. Il m'a dit que, si j'étais meilleur que les autres, il allait me faire jouer. J'avais des options pour partir dans d'autres clubs, je pense que le Real Madrid avait besoin d'une option plus économique et ils ont accepté la mienne. En ce qui concerne le Real, je suis très fier de la saison que j'ai faite après ma blessure et avec l'Espanyol, j'ai fait une très bonne saison aussi. Les garçons m'ont nommé capitaine et je n'étais là que depuis 10 mois. C'était une très belle année avec Rubi. Nous sommes entrés en Europe avec des joueurs qui débutaient…
Au Real Madrid, tu n'as eu que deux entraîneurs : Pellegrini et Mourinho. Ils sont comme le jour et la nuit. Différents en tout.
C'est vrai, ils sont radicalement opposés. Mon expérience avec les deux a été excellente car ils ont été exceptionnels avec moi et moi avec eux aussi je pense. Quant aux circonstances non personnelles, au moment du passage de l'un à l'autre, nous étions dans une situation où le Barça était en train de tout déchirer, c'était une équipe presque imbattable. C'était très dur pour nous. Nous étions le Real Madrid et nous étions le prétendant. Dans le championnat de Pellegrini, nous avons marqué 96 points et sommes arrivés à la deuxième place, c'était une chasse sans relâche, mais le Barça n'a jamais perdu.
Et puis est arrivé Mourinho…
Nous attendions tous que Mourinho ait un impact important. C'était super nécessaire et c'est arrivé. Je ne pense pas que ça serait arrivé avec quelqu'un d'autre. Ce changement a impliqué bien plus que le football, les joueurs, les tactiques. L'année suivante, nous avons remporté la Copa. Pas la Liga, mais l'année suivante nous avons gagné la Liga avec le nombre record de points. Vivre cette étape a été une grande expérience. Le Real est passé du statut de concurrent à celui de faire des autres leur concurrent. C'est l'essence même de ce club et l'entraîneur l'a très bien compris. Les circonstances entourant tout cela étaient insensées. Chaotique. À certains moments, c'est amusant ; à d'autres, c'est compliqué. Mais c'était une expérience d'apprentissage.
Tu as dit un jour que tu étais sûr que Mourinho reviendrait au Real Madrid. Le penses-tu toujours ?
Je pense qu'il a été proche de revenir à un moment donné… Sans savoir s'il a été ou est dans la tête du club ou de l'entraîneur, il était logique de penser qu'il pourrait le faire. Mou a quelque chose qui convient très bien au Real Madrid. Il y a des parties de lui, de sa personnalité, de son caractère, qui correspondent très bien à son époque. Lesquelles ? C'est presque une question génétique, une question d'identité… Je ne veux pas utiliser des mots qui sont déjà trop contaminés. Je ne veux pas dire ambition, car tout le monde est ambitieux. Mais Mou a une façon d'être ambitieux, une façon d'aborder les problèmes, de choisir une voie qui est commune au club. Le Real Madrid, par exemple, ne cherche pas d'excuses et Mourinho, avec lui-même et avec nous, à huis clos, n'en a jamais cherché. C'est le coach qui en cherchait le moins. On disait qu'il cherchait toujours des excuses, que si ce n’était pas les arbitres, c’était si ou ça.. C'était le discours de l'extérieur. Il était clair qu'il y avait une adéquation club-entraîneur, et si cela se reproduisait, je ne l'exclurais pas. J'adorerais le faire à un moment donné… bien qu'à l'heure actuelle, le Real a un entraîneur qui n'a pas son pareil.
Tu aurais aimé travailler avec Ancelotti ?
J'aurais aimé, oui. Il est exceptionnel. Je l'aime beaucoup. Pour l'instant, c'est un entraîneur complet. Il est solide. Imbattable. Très intelligent. Il y a peu d'entraîneurs avec autant d'expérience accumulée en tant que joueur et entraîneur et il a une intelligence sociale. Je veux dire… du vestiaire. Pour le Real Madrid, à l'heure actuelle, il ne peut y avoir de meilleur entraîneur. Et il le prouve. Il se peut que dans ses circonstances, il y ait d'autres résultats, mais en plus, il obtient les résultats souhaités, ce qui est finalement la chose la plus importante pour les entraîneurs. En plus, c'est un type très généreux.
A quoi ressemble la vie loin du Real Madrid ?
Jouer pour le Real Madrid est une leçon de vie et cela vous positionne. Pas du point de vue de l'ego, mais parce que c'est une expérience traumatisante, pour le meilleur ou pour le pire, pour n'importe quoi. Ça endurcit. Puis vous allez dans un autre endroit et vous repartez avec un sentiment différent. Vous avez vécu des choses très intenses. Inégalables. Quand vous avez joué au Bernabéu, vous ne pouvez plus avoir le trac dans les autres stades ensuite. Vous avez été formé. C'est fait.
Cristiano-Messi. Tu as joué avec le Portugais et contre l'Argentin à l'adolescence. Dans une situation imaginaire où tu devrais choisir entre les deux, qui prendrais-tu en premier dans ton équipe ?
Je choisirais toujours le gardien de but en premier. Il y a presque toujours un bon et un mauvais gardien de but. Et ensuite, je prendrais celui que l'adversaire n'aurait pas choisi dans son premier choix. Ils sont si bons et si différents qu'il est très difficile de les comparer. Pour moi, Cristiano sera toujours en tête. Pour sa loyauté, pour son esprit d'équipe et pour toutes les fois où il a tiré nos marrons du feu. J'ai une affection profonde pour lui. C'était incroyable de le voir faire basculer les matchs. Vous saviez que s'il n'était pas là, ça allait être beaucoup plus difficile. Le voir s'entraîner et l'ambition qu'il avait était très inspirant. Il sera toujours en avance sur le jeu, même si Messi est l'un des meilleurs joueurs de l'histoire."