Vinicius Junior a accordé une très longue interview au journal français L'Équipe dans laquelle il évoque notamment son enfance au Brésil, son rôle dans le vestiaire madrilène, la lutte contre le racisme...
Vinicius a-t-il beaucoup changé depuis son arrivée à Madrid en provenance du Brésil ?
Oui, un peu dans la vie et surtout sur le terrain. Je venais d'arriver du Brésil et de là à ici, à Madrid, c'est un grand saut. Tous les enfants en rêvent, mais c'est impressionnant. J'ai rencontré de bonnes personnes ici. J'ai grandi. Je suis un joueur comme les autres. J'étais un gamin qui ne connaissait rien, avec seulement 70 matchs professionnels. Aujourd'hui, j'en ai plus de 200. Mais je suis encore jeune et il ne faut pas l'oublier. Je n'ai que 23 ans et j'ai encore beaucoup l'envie d'apprendre. Aujourd'hui, je pense que je suis un peu plus célèbre. Je ne fais plus ce que je faisais avant quand j'étais au Brésil, mais j'aime ma vie. J'ai changé l'attitude de ma famille grâce à tout cela. Je pense que je resterai ici encore de nombreuses années. De toute façon, c'était mon rêve, je peux jouer au football tous les jours ! Rien ne me rend plus heureux. Je ne me lasserai jamais d'être sur le terrain.
Vivez-vous le football tous les jours ?
Je n'ai jamais passé plus de trois jours sans jouer au football, que ce soit en vacances ou non. Quand j'étais enfant, s'il y avait un endroit où jouer, j'y allais. Le matin, j'étudiais dans le seul but d'avoir du temps l'après-midi, le soir, pour jouer. C'était mon enfance. À 8 ans, je voulais imiter Neymar. Et mon père me laissait sortir dans la rue.
Comment était votre quartier, Sao Gonçalo ?
C'est un quartier dangereux, mais les gens passent leur temps à jouer au football. Il y a des bandits, des armes à chaque coin de rue. C'est l'une des pires favelas de Rio. Pour les gens qui y vivent, tout ça devient normal, même si ce n'est pas le cas. Mais j'avais les bons amis, les bonnes personnes autour de moi. J'ai pu suivre la voie que je voulais et j'avais un don pour le football. Tout le monde n'a pas cette chance. Par nécessité, on prend des chemins de traverse. On ne choisit pas forcément là, et je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui soit devenu médecin, professeur ou avocat. Espérons que ça change... En tout cas, j'y ai été heureux. Je m'y suis fait des amis pour la vie. Ceux qui vivent avec moi à Madrid sont tous originaires de Sao Gonçalo. C'est une grande partie de mon histoire. J'y ai tout appris. La rue m'a opposé à des joueurs plus âgés que moi. J'avais 9 ans et je jouais contre des joueurs de 12 ou 13 ans. Je n'avais pas peur de jouer avec le ballon et je l'ai gardé dans mon jeu. Et puis la qualité, la technique.... C'est à partir de là. Ce n'est pas comme un vrai terrain. C'est plus difficile qu'au Bernabéu, c'est sûr (rires). Personne ne siffle les fautes, le ballon vient d'un côté et sort de l'autre... Mais c'est de là que viennent les joueurs exceptionnels. C'est ce qui nous différencie, nous les Brésiliens, quand nous dribblons, quand nous contrôlons. C'est le football de rue, puis le futsal.
Vos parents ont-ils souffert pour que vous puissiez jouer ?
C'est surtout parce qu'ils n'avaient rien. J'avais 5 ans lorsque mon père a décidé de travailler en dehors de notre quartier, mais ce n'était pas suffisant. Ils ont arrêté de vivre leurs rêves pour que je puisse vivre les miens. On peut dire qu'aujourd'hui ça a payé, mais ça arrive aussi à d'autres qui perdent tout l'argent qu'ils ont, et même celui qu'ils n'ont pas. Dieu merci, mon petit frère n'aura pas à vivre ça. L'école m'a laissé jouer gratuitement et m'a fourni des vêtements de sport. Sans ces gens, je ne serais pas là. Flamengo ne m'aurait jamais vu. Honnêtement, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Je rêvais juste de football.
Vous ne renoncez jamais à votre style...
J'ai toujours joué à ma façon et je le ferai toujours. Je n'ai jamais cessé de croire que, quel que soit l'endroit où je jouais, je pouvais être le meilleur. Que ce soit dans mon quartier, ailleurs ou même contre des joueurs plus âgés.... Quand j’échouais, je rentrais chez moi un peu triste. Ça me hantait. Je voulais gagner et malheureusement ça n'arrivait pas tous les jours. J'aime être un leader, sentir que je suis important, que je peux porter l'équipe. C'est toujours comme ça. Je n'avais pas peur dans ma rue, à côté des gangs. Ce n'est pas maintenant que ça va commencer ! Je ne pense jamais à ce qui va se passer ensuite. Il n'y a pas de stress, seulement de la joie. J'ai la personnalité pour essayer des choses et l'équipe me donne la confiance nécessaire pour le faire aussi. Je vais essayer des actions jusqu'à ce que ça marche. Je ne m'y attarde jamais. Dès qu'un échec survient, il faut reprendre la balle au bond. Et faire des efforts signifie accomplir beaucoup de choses. Tout le monde ne pense pas comme ça, c'est sûr, mais moi je le fais, depuis que j'ai commencé. C'est ce que je devais apporter à Madrid.
Votre rôle dans le vestiaire a-t-il également évolué ces dernières années ?
Bien sûr. Quand j'ai signé, j'étais un petit gamin, sans responsabilités particulières. Maintenant, c'est moi qui dois nous relever, même si le nombre de grands joueurs fait que les responsabilités sont réparties. Parfois c'est l'un, parfois c'est l'autre. Mais je sais que le club, l'équipe et les supporters attendent toujours quelque chose de moi. Je ne dirai jamais que je n'en suis pas conscient. Je l'accepte pleinement. La pression est là, mais nous l'aimons tous. C'est une nécessité lorsque l'on aspire à la grandeur. Si je dois parler, je parle, pas de problème, mais il y a Toni (Kroos), il y a Luka (Modric).... Ils sont là depuis longtemps et c'est plutôt à moi de les écouter. J'ai plus à apprendre d'eux que l'inverse. Ces gars-là ont beaucoup gagné au cours de leur carrière.... Nous essayons surtout de suivre leurs traces.
On ne vous verra donc pas réprimander Toni Kroos ?
Impossible ! Ni lui ni personne d'autre d'ailleurs : je ne suis pas comme ça. Je suis un gars tranquille. Je n'ai jamais eu de problèmes. En fait, je ne me mets jamais en colère. C'est aussi parce que nous aimons passer du temps ensemble. Nous organisons des dîners, nous aimons voyager ensemble... C'est génial.
Parlons de vos entraîneurs : Zidane.
Casemiro et Marcelo m'avaient beaucoup parlé de lui, et en très bien. C'est une référence pour tout le monde. Je ne l'ai pas beaucoup vu jouer, j’étais trop jeune, mais il est sur YouTube. Il jouait comme peu d'autres et, en tant qu'entraîneur, il m'a beaucoup aidé, notamment sur le fait de revenir et aider à défendre. Il a beaucoup insisté sur la participation à l'effort collectif et m'a donné la liberté d'exprimer mes qualités. Au Brésil, on ne m'a jamais parlé de questions défensives, ou presque jamais. Ça m'a beaucoup changé. Zizou m'a fait comprendre que les deux choses n'étaient pas incompatibles. Il m'a beaucoup appris, et puis j'étais le plus jeune ! Quand les autres travaillaient un peu moins défensivement, c'était à moi de le faire.
Et Carlo Ancelotti…
On est comme père et fils. Il nous parle de tout. Grâce à lui, j'ai mieux géré les moments auxquels je n'étais pas particulièrement préparé. Il me pousse toujours et veut que je garde la tête froide. Et puis, quand vient le moment de m'engueuler, il ne se retient pas non plus.... Sur le moment, je me dis que c'est trop ! Puis j'y réfléchis et ce n'est jamais une coïncidence. Il le fait toujours parce qu'il le faut. À cause de certaines bêtises que je fais sur le terrain, par exemple. Un dribble dans notre propre moitié de terrain, une action individuelle qui ne convient pas... Mais il faut l'écouter. Ce qu'il veut, c'est voir le meilleur de ce que je peux donner. Il est comme ça avec tout le monde. Mais avec nous, les jeunes, c'est vrai qu'il veut enseigner, aider. Il nous demande comment ça se passe à la maison, comment nous nous sentons, comment va la famille.... Il sait que nous passons du temps loin de la maison et il s'en préoccupe. Tout cela fait de lui une personne vraiment belle.
Aimez-vous la vie Madrid ?
J'aime la vie ici en général et ma famille s’y plaît bien aussi. Lorsque mes proches se promènent, ils sont reconnus et nous souhaitent beaucoup de bonheur. Petit à petit, j'ai découvert cette nouvelle vie, de nouvelles émotions, une ferveur… Madrid est unique. Tout le monde dans le monde entier me parle de ce club. Et à part ça, j'aime ça. Je suis assez casanier mais nous faisons beaucoup d'activités. Par exemple, demain soir, après le match de Ligue des champions (l'interview a eu lieu le 19 septembre), j'organise un dîner avec Cama, Jude, Rodrygo, Aurélien (Tchouameni) et d'autres. Il n'y a pas de plage comme à Rio mais c'est quand même sympa. Et j'ai apporté un peu de Rio ici, avec le terrain de beach-volley (dans son jardin).
Le Real Madrid sera-t-il votre dernier club ?
Je pense que je pourrais rester ici toute ma carrière, mais le club de ma vie est Flamengo. J'ai promis à mon père de revenir un jour. Je dois tenir cette promesse.
Il existe un lien spécial entre tous les jeunes joueurs de l'équipe. Rodrygo par exemple nous a expliqué que ses amis sont devenus les amis de vos amis. Pourquoi est-ce si important ?
Parce que si nous nous entendons dans la vie, nous sommes bons sur le terrain. Nous passons tout notre temps libre ensemble. Je pense que si Cama ou Rodry me donnent des passes décisives, ou l'inverse, c'est aussi parce que les choses se passent bien en dehors du terrain. Nous avons aussi Jude, qui vient d'arriver, et Tchouameni, qui est là depuis un an. J'ai amené Camavinga au Brésil cet été. Il est maintenant l'un des nôtres. Il joue comme un Brésilien, il danse comme un Brésilien, il veut y retourner ! Avec Rodrygo, nous nous connaissons depuis des années, nous avons joué l'un contre l'autre quand nous avions 11 ans. Il en va de même pour Mili (Eder Militao) que je connais depuis mon plus jeune âge. Nous sommes juste un groupe de gars du même âge qui veulent accomplir de grandes choses. Au final je passe plus de temps avec eux qu'avec ma famille Et puis, nous n'avons pas de petite amie ni d'enfants. C'est plus facile d'organiser des dîners.