Le Clásico est un rendez-vous pris minimum deux fois par année depuis 1929. Pourtant, il paraît inconcevable de ne pas distinguer chaque nouvel acte des anciens.
[dropcap]U[/dropcap]n nul lors d'un Clásico ? Non, par pitié. Les scores de parité ne désignent ni vainqueur à louer, ni perdant à condamner. S'avouer vaincu dans un match de la sorte est une forme de défaite particulièrement humiliante. Perdre un Clásico est coûteux car ensuite, le rachat est obligatoire. Pour régler sa dette et être affranchi, il faut impérativement enlever le duel suivant, tout en passant par dix-neuf journées de purgatoire. Les joueurs sont investis de la mission la plus cruciale, mais en réalité, la plus symbolique : gagner. Il en va de l'honneur de tout un peuple qui ne considère pas que faire la part des choses soit une option. Les désintéressés répondront qu'il n'est pas sage de s'inquiéter à tel point du sort de onze hommes en culottes courtes pourchassant un ballon, les plus radicaux rétorqueront que dans leur vie, la passion a écrasé la sagesse. Et quand il s'agît de vie, peut-on prendre du recul ?
C'est précisément cet envahisseur passionnel, qui permet pour une fois au Bernabéu de tout pardonner, pour autant que la victoire soit volée à l'ennemi. Bien que l'enceinte merengue rêve secrètement de se venger d'un 2-6 toujours pas digéré, un succès banal conviendra. Les aléas des Clásico feront qu'un jour ou l'autre, elle l'aura sa revanche. La déesse Cibeles y veille personnellement. En attendant, il faut l'emporter peut importe comment. La défaite elle, est évidemment proscrite. Et pourtant, pas question de se rendre à l'évidence en affirmant que, le Real en perdra encore des dizaines, des matchs de la sorte. Même si, sur le papier, ce n'est qu'une opposition parmi les 231 qui ont eu lieu par le passé, seule importe celle à venir. Il y a de fortes chances que dans quelques temps, ce match soit enterré. Cependant, il compte plus que tous les autres pour le moment. Le football oublie ce qui n'est pas suffisamment impactant à ses yeux. Si vous deviez citer trois Clásico marquants de ces 10 dernières années, lesquels choisiriez-vous ? Sûrement pas celui du 29 août 2012, du 2 mars 2013 et du 26 février 2013. Le Real les avait tous gagné néanmoins...
Pouvoir contempler un numéro singulier, c'est ce qu'espère tout spectateur. Le public désire être témoin d'une production meilleure que celles auxquelles il n'a pas assisté. C'est pourquoi, le temps se fige à chaque fois pour lui, rendant ce nouvel épisode plus unique que le précédent, et porteur d'une espérance régénérée. Ces nonante minutes toutes neuves sont dès lors sacrées ; religieusement mises à part dans le temps du supporter, alors que pour un non-initié, elles se révèlent être totalement anodines. Cette répétition se doit d'occulter le passé pour prétendre à l'inédit. Quelles que soient les joies que les fleurs fanées ont pu procurer aux fans, ceux-ci décident d'en faire fi. Ce ne sont pas les antécédents qui persuaderont l'histoire d'écrire une fin différente. Rien, sinon l'immédiateté, a une influence.
Et parfois, cette immédiateté se révèle être porteuse d'un bonheur soudain... "Marcelo de nouveau qui arrive seul, autoroute pour Marcelo, Marcelo qui la met en retrait, pénalty, pénalty, pénalty, pénalty, Piqué ! Piqué tu n'es pas gardien, Piqué tu n'es pas gardien ! Marcelo a gagné la ligne de fond, centré en retrait et Piqué a réalisé un arrêt spectaculaire dans les cinq mètres, l'a touchée avec la main : pénalty. Le visage de Piqué au moment où l'action se produit le dénonce". Ainsi contaient un duo de commentateurs brillants, une séquence de l'avant-dernier Clásico, sur les ondes d'une radio espagnole. À cet instant, un tournant du match venait d'avoir lieu. Ce fut l'acte initial d'une Remontada et par la suite d'une victoire significative. L'euphorie gagna tous les madridistas, qui ne savaient pas qu'au final, ce Clásico arraché serait l'un des seuls accomplissements d'une saison blanche. Mais en ces moments-là, rien ne semblait plus important. Ce n'était pas encore devenu un Clásico parmi d'autres. C'était le plus important de tous.