Les détracteurs de Rafa Benítez sont nombreux. Accusé d'être un entraîneur défensif, il est d'ores et déjà catalogué comme pas fait pour le Real et son principe de jeu historique qui est l'attaque. Pourtant, ces accusations sont en grande partie infondées. Tentative d'explication.
[dropcap]À[/dropcap] l'heure qu'il est, le SSC Napoli aurait dû être qualifié pour la Ligue des Champions. Benítez avait été appâté par le club napolitain en 2013 avec deux objectifs : disputer la CL chaque année et mettre fin à la suprématie turinoise en championnat. L'entraîneur espagnol n'a rempli aucune de ces missions. C'est là un argument de choix pour les anti-Benítez. Après son départ la semaine dernière, on peut même penser qu'il y a eu une certaine régression depuis sa prise de fonction. En finissant à la troisième place de la Serie A lors de la saison 2013/2014 et en remportant la Coupe d'Italie la même année, l'équipe était pourtant sur la bonne voie. Tout semblait fonctionner selon le plan prévu. La saison 2014/2015 s'est avéré nettement moins bonne. Cinquièmes en championnat, les Napolitains ont vu la Ligue des Champions leur passer sous le nez lors de la dernière journée. Pas moyen de se rattraper en gagnant l'Europa League puisqu'ils ont été éliminés par Dnipro en demi-finales. D'autant plus rageant, car ils figuraient parmi les favoris et avaient frappé un grand coup en éliminant Wolfsburg.
Le travail de Benítez à Naples aura donc moyennement porté ses fruits. Par contre, s'il y a bien un club où l'Espagnol a tordu le coup aux allégations le considérant comme un entraîneur défensif, c'est bien Naples. Durant ses deux saisons passées sur les bords de la Méditerranée, ses joueurs ont inscrit le même nombre de buts toutes compétitions confondues, à savoir 104. Cette marque constitue un record dans l'histoire du club. L'explication paraît assez logique. Les défenseurs composant l'effectif napolitain n'ont que rarement été à la hauteur. L'arrière garde a pris l''eau, comme le révèle le nombre de buts encaissés. C'est la pire défense du top 10 au classement. Raúl Albiol et Koulibaly n'ont jamais été à la hauteur. Zuñiga n'a presque pas joué. Maggio a fait une saison correcte au même titre que Ghoulam mais ce sont des latéraux et pas des centraux. Les performances des milieux défensifs n'ont pas aidé non plus. Inler est vieillissant et Gargano et lui gagnent moins de la moitié de leurs duels. Seul David Lopez a fait une bonne saison à ce poste. Résultat, on a même dit à Benítez qu'il ne savait pas défendre...De ce fait, il a bien fallu compenser quelque part et c'est le secteur offensif qui s'est chargé de rééquilibrer la balance. Disposant d'attaquants de très haut niveau tels que Callejón auteur d'un début de saison tonitruant, Higuain, le capitaine Hamšík ou Gabbiadini, c'est en finissant troisième meilleure attaque du championnat seulement deux buts derrière le leader juventino, que Benítez et ses hommes n'ont pas sombré dans le ventre mou du classement comme par exemple l'AC Milan. Pour leur part, Insigne et Zapata auraient pu mieux faire car ce sont des garçons aux qualités indéniables. Michu a par contre ciré le banc.
Higuain, Hamšík et Callejón ont répondu aux attentes avec Bénitez
Le contre-exemple de Valence
Avec le club che, le madrilène remporte ses deux premiers titres et va gagner le respect du milieu. Vainqueur de la Liga en 2002 et 2004, et de la coupe UEFA en 2004, il aura offert à Valence les plus belles années de son histoire. Malgré tout, son départ a été vécu comme un soulagement par les dirigeants et les joueurs, épuisés par ses méthodes et son caractère. Les bases de son succès se sont construites sur une défense extrêmement solide. L'expérimenté Carboni formait avec le légendaire Ayala une charnière centrale de renom. Sur le côté gauche c'est l'international espagnol Marchena qui bloquait le couloir. À droite, Torres qui connaissait parfaitement la maison défendait les montées adverses. Deux milieux défensifs contribuaient au quadrillage du terrain : Baraja qui au total aura passé 10 ans de sa vie à Valence et David Albelda un autre mythe pour les supporters. Cerise sur le gateau, les cages étaient gardées par Santi Cañizares. En résumé, une base faite de joueurs ayant en grande partie dédié leur carrière au FC Valence, y disputant pour la majorité plus de 300 matchs. Défendre le maillot était pour eux le plus grand des devoirs.
"J'avais demandé un sofa et ils m'ont amené une lampe"
C'est d'ailleurs dans son premier grand club qu'il a perfectionné ses méthodes. Les joueurs devaient subir des messes tactiques parfois très pénibles. Benítez est convaincu que les différences se font dans les détails. Il leur accorde alors une importance considérable. Il a aussi imposé son principe de rotations. Pas question de griller les meilleurs éléments en ne leur accordant pas le moindre repos en championnat. Contrairement à ses entraînements d'une rare exigence et intensité, où il demande toujours le maximum, les matchs sont parfois une occasions pour les figures les plus importantes de l'équipe de souffler un coup. Si ses hommes sont parfois victimes de son caractère et finissent par ne plus pouvoir le voir ni en peinture, les dirigeants ont par le passé aussi fait les frais de ses accès de colère. En 2003, il avait demandé à son directeur sportif un avant centre mais avait dû se contenter d'un milieu offensif. Ce transfert déplaisant l'avait amené à prononcer une phrase devenue depuis lors culte : "J'avais demandé un sofa et ils m'ont amené une lampe". À Valence, il n'assumait jamais ses tors, les rejetant toujours sur quelqu'un d'autre. Ces accusations répétées envers les hautes sphères du club avaient installé une relation très conflictuelle au sein de la structure valencienne. Alors qu'il venait d'accomplir une saison historique, il quitta le club en 2004 à la suite de profonds désaccords avec la direction. Pour certains, Valence était devenu le "Benítez football club".
Doublé historique en 2004. Valence se console des finales européennes perdues en 2000 et 2001.
Les défis qui l'attendent au Real
À Madrid, il aura de toute manière des footballeurs de qualité sur qui compter. L'effectif madrilène est le meilleur qu'il ait eu à gérer jusqu'ici. Il y a de fortes chances que le système utilisé soit le 4-2-3-1 comme sous l'ère Mourinho. Néanmoins, au vu de la créativité de ses joueurs, il existe une petite possibilité qu'il s'essaie à d'autres structures. Ce serait une première en 20 ans de carrière. Avec Marcelo, Danilo et Carvajal, difficile d'imaginer un style de jeu où les latéraux se contenteraient juste de défendre. Ceux-ci devraient bénéficier de la liberté nécessaire à l'expression de leurs facultés de débordement et de surnombre. Cela marquerait une rupture avec sa philosophie traditionnelle. Les questions sur le onze de base sont pour le moment infinies mais une chose est sure : il n'aura pas besoin de mettre en place un jeu défensif pour gagner. Le Real Madrid a toujours été un club prônant l'attaque à tout prix et cette pour cette raison que Casillas n'a remporté qu'une fois le trophée Zamora, consacrant le gardien ayant le moins encaissé sur une saison. Ce serait un non-sens de s'obstiner à défendre alors que les joueurs ayant de l'or dans les pieds se pressent au portillon. Cette saison, c'est l'une des raisons pour laquelle a tant souffert derrière. L'effectif est tellement déséquilibré qu'Ancelotti a dû composer avec un milieu à trois formé par Kroos, James et Modric/Isco. Aucun de ces footballeurs n'est en principe fait pour défendre et Carlo les a reconvertis les faisant jouer un cran plus bas. Le retour de Casemiro et la possible arrivée d'un milieu type Pogba ou Verratti devrait conférer à l'équipe une plus grande stabilité. Il se murmure même qu'Illarramendi pourrait rester, cette organisation étant faite pour lui. À Liverpool il pouvait compter sur deux milieux défensifs : Xabi Alonso et Javier Mascherano. À Chelsea, c'était Ramires et David Luiz puis à Naples Inler et Gargano/David Lopez. Au Bernabéu, on le voit mal commencer les matchs en alignant Casemiro et Illarramendi. Cette supposition constitue un autre argument en faveur d'un Real Madrid porté sur l'attaque et d'un abandon de son sempiternel 4-2-3-1. D'ailleurs, Ancelotti s'était rapidement rendu compte que son système fétiche, le fameux sapin de Noël (il avait même écrit un livre appelé "Mon sapin de Noël) ne fonctionnerait pas au Real.
Deux ans après, Bénitez remplace Ancelotti. Toute sa vie, il a attendu ce moment.
Une autre de ses tâches consistera à convaincre Ronaldo de se reposer de temps à autre. Jouer tous les matchs de championnat n'est pas nécessaire à l'équipe. Le Portugais ne l'entend actuellement pas de cette oreille, lui qui veut marquer à chaque rencontre. Osera-t-il démanteler la BBC si chère à Florentino Pérez ? C'est une question pour le moment en suspens. La BBC limite grandement les possibilités de modifier le onze actuel. Selon les dernières tendances, c'est Ronaldo qui évoluera en pointe et Bale sur le côté gauche. Cepedant, si tel était le cas, Benzema serait le sacrifié et acheter un autre numéro 9 cet été signifierait avoir trois stars pour un seul poste. Chose qu'Ancelotti n'a jamais faite, Benítez devra user de son caractère pour éventuellement s'opposer au président. Le Real n'ayant pas de directeur sportif, c'est Pérez et José Ángel Sánchez qui décident quels recrues acheter. Les deux acolytes semblent avoir une connaissance très limitée du football : tant qu'elle est galactique ou qu'ils peuvent devancer le Barça, ils la signent. Peu importe si l'équipe en a besoin ou pas. Del Bosque s'était opposé à cette gestion qui néglige presque totalement l'aspect sportif. Il avait été viré une deuxième fois en 2003. Pour le bien d'un club dont il est l'enfant, Benítez devra avoir le courage de faire face à Pérez. Bien plus facile à dire qu'à faire...
À la différence d'Ancelotti, Benítez n'hésite pas à dire ce qu'il pense, quitte à créer des polémiques. L'Italien a été très apprécié par les journalistes pour sa capacité à garder son sang-froid et à ne jamais avoir un mot plus haut qu'un autre. Depuis qu'il a commencé sa carrière d'entraîneur, Rafa Benítez s'est préparé pour ce moment. Ses larmes lors de sa présentation mercredi passé en sont la preuve. Pour lui, c'est un rêve devenu réalité. Durant quelques instants, la carapace de l'homme dur s'est fissurée, laissant entrevoir le côté le plus sensible de celui que la presse espagnole appelle un Mourinho bis. La visite des installations de Valdebebas lui a beaucoup plu et il s'est montré très satisfait. Ce qui est certain, c'est que ce ne sera pas le papa poule qu'a été Ancelotti. Les joueurs vont passer des moments difficiles sous sa houlette. L'une des raisons de sa nomination est que le président estime que le vestiaire avait tendance à se laisser aller avec son prédécesseur. Son premier devoir sera de conquérir un vestiaire hostile. Les joueurs auraient voulu garder l'ancien mister et bien que professionnels, ils ne sont pas convaincus par la venue d'un nouveau chef. . Quand la première tempête s'abattra, la manière dont il gérera la situation sera décisive pour la suite. En attendant, le Real Madrid est sous le contrôle d'une main de fer. Benítez connaît la maison, va s'adapter aux forces en présence et excepté celui d'Ancelotti, c'est son profil qui est le meilleur pour prendre en charge ce club. Les dirigeants l'avaient déjà contacté en 2009 à la suite de la destitution de Manuel Pellegrini. Il avait alors choisi de rester une année de plus à Liverpool.
Se mettre la presse dans la
poche c'est s'éviter de la pression en plus.
Mourinho n'y avait pas survécu et fuyait les journalistes.