La formation des jeunes talents à Madrid et leur capacité à intégrer l'équipe première pose question depuis plusieurs années maintenant. Rejoindre la Cantera madrilène a des avantages, mais aussi des défauts.
Le Real Madrid surfe sur la vague de succès au 21ème siècle avec notamment 8 Ligues des champions remportées, un effectif le plus précieux au monde (Mbappé, Vinicius, Bellingham, Rodrygo, Valverde, Camavinga...), un stade flambant neuf et des revenus qui augmentent chaque année. Cependant, il y a un point noir sur ce tableau coloré de réussites : le rapport au centre de formation du club.
Le parallèle est souvent fait avec le FC Barcelone qui fait confiance à de nombreux jeunes joueurs formés à la Masia qui a fait la gloire des Catalans à l’époque de Guardiola avec Messi, Xavi, Iniesta, Busquets, Alba, Puyol, ou encore Piqué pour ne citer qu’eux tellement il y en a... Une équipe basée sur le centre de formation qui lui a permis de remporter 4 fois la Ligue des champions dans les années 2000. Encore aujourd’hui, le Barça confie les clés de l’avenir du club à des joueurs comme Cubarsí, Balde, Pedri, Gavi, Torre, García, Casadó, Olmo, Fermín, Yamal etc. Une comparaison qui fait polémique en Espagne et qui illustre l’opposition de 2 modèles : le Made in Masia face au football des étoiles mondiales.
En effet, au Real Madrid dernièrement, seuls Nacho et Carvajal (parti entre temps 1 an au Bayer Leverkusen puis revenu au Real Madrid) ont réussi à s’imposer en équipe première après avoir été formé dans le club merengue. Un agent interrogé par Relevo, qui travaille en Espagne, explique notamment cela : "Tu te places, tu te démarques dans les équipes de jeunes ou de Primera Federación et disons, par exemple, que Villarreal B et le Real Madrid te veulent. Villarreal vous offre 70 000 euros par an et une chance de passer en équipe première... et le Real Madrid vous offre 150 000 euros par an pour aller jouer avec le Castilla, même si vous savez que vos chances de passer en équipe première sont presque inexistantes. La majorité, dans cette situation, choisit Madrid. Et je pense que c'est tout à fait compréhensible et respectable pour autant".
"Et depuis longtemps, le Real Madrid ne voit pas le centre de formation comme une source d'approvisionnement pour l'équipe première. C'est, on ne l'a jamais aussi bien dit, "la Fábrica de hacer dinero" (la machine à faire de l'argent) : on forme, on obtient des résultats et on vend à prix d'or. Avec l'opération Rafa Marín par exemple, ils ont déjà amortis des dépenses qui pourraient être faites pendant de nombreuses années", ajoute-t-il. Le défenseur central de 22 ans, prêté un temps à Alavés, a été transféré cet été à Naples pour la somme de 12 millions d’euros. Depuis 2010, pas moins de 200 millions d’euros ont été obtenus avec la vente de jeunes joueurs avec notamment Hakimi (43 millions), Antonio Blanco, Arribas, Dotor et Óscar Aranda (13,3 millions d’euros), Raúl de Tomás (20 millions d’euros), Óscar Rodríguez (13,5 millions d’euros) et Diego Llorente (11 millions d’euros) par exemple.
"Maintenant, le scénario est le suivant : tu signes à Madrid à cause de l'offre ou parce que tu as grandi en regardant Cristiano, Benzema et compagnie gagner des titres et tu veux porter le même maillot qu'eux", déclare le père d'un footballeur prometteur qui a quitté Valdebebas il y a trois saisons et qui prouve maintenant sa valeur loin du Real. "Au début, en plus du contrat, tu es convaincu par les médias : une cité sportive impressionnante, les meilleurs terrains, les meilleurs vestiaires, la meilleure résidence, les meilleurs entraîneurs, la piscine... Et c'est vrai qu'il faut valoriser ça, parce que ça aide à grandir et dans le centre de formation, il y a des entraîneurs extraordinaires qui travaillent très bien mais ensuite, quand tu fais de ton mieux et que tu vois qu'il est impossible de franchir la barrière de l'équipe première, tu es frustré", souligne le père du joueur au micro de Relevo.
La blessure de Carvajal appuie dans les faits ce constat criant dans la politique sportive du Real Madrid. En aucun cas, le club ne pense à une solution interne qui donnerait l’opportunité à un jeune joueur du centre de formation de se montrer aux yeux du grand public. Par exemple, la possibilité de faire monter Jésus Fortea sur le devant de la scène paraît utopique, ce qui ne serait pas le cas au Barça, sans aucun doute. "Si Carvajal n'est pas là, Lucas jouera. Et sinon, Militao. Et sinon, Mendy sur l'aile. Et sinon, Mbappé au poste de latéral. Ne nous faisons pas d'illusions", déclare même avec ironie un représentant des joueurs du centre de formation madrilène. Le message passe d’ailleurs déjà auprès des garçons : "Ils savent ce qui les attend. Jouer pour le Real est quelque chose d'unique mais cela les décourage de savoir que, même s'ils sont bons, ils n'auront pas d'opportunités. Le problème a déjà dépassé les limites", insiste-t-il auprès de Relevo.
Álvaro Carreras (21 ans), latéral gauche titulaire de la Rojita, passé notamment par Manchester United, et qui brille aujourd’hui sous les couleurs du Benfica Lisbonne, égrène ainsi la situation qui était la sienne dans une interview avec Relevo : "Au Real Madrid, pour arriver avec le Castilla, il y a 800 000 joueurs devant toi. J'étais encore un gamin de l'académie. À Manchester United, ils m'ont fait me sentir spécial : ils m'ont présenté une proposition sportive qui m'a convaincu, j'ai passé un mois et demi avec les moins de 18 ans, à 17 ans, je jouais déjà tous les matchs avec les moins de 23 ans, et je me suis très vite entraîné avec l’équipe première". Par ailleurs, Álvaro évoque aussi le côté positif du Real Madrid Castilla : "Quand vous jouez avec le Real Madrid Castilla, même pour ta carrière, ton salaire augmente. Arriver jusqu’ici est également synonyme de nombreuses offres qui vous attendront et de chiffres considérables si vous décidez de partir. Le fait d'avoir revêtu ce maillot te donne du prestige et te protège pour la suite".
Pour toutes ces raisons, des bruits de couloirs font écho que de plus en plus de voix se feraient entendre en interne et ne recommanderaient pas à un "crack" d’aller au Real Madrid pour poursuivre son ascension : "Je pense qu'il est sportivement préférable d'aller dans une autre équipe qui vous paie moins et vous donne la confiance que, si vous le méritez, vous aurez des options de grandir et de jouer en équipe première", déclare le responsable du centre de formation d’une équipe de Liga à Relevo.